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Full text of "Ombres chinoises : dessins de Jean Kerhor"

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Ornbres  Chï^ioïses 


i 


I 


Lemercier   de   Neuville 

•   •   • 

Ombres 
Chinoises 

Dessins  de  Jean  KERHOR 


meM9^M 


PARIS 
LE  BAILLY,  ÉDITEUR,  0.  BORNEMANN,  SucC 

15,    RUE   DE   TOURNON,    15 

Tous  droits  d'adaptation,  de  traduction,  de  reproduction  et  de  reprégtntation 

réservés  pour  la  Fiance  et  l'Étranger. 

Copyright   bv  0.  RornpmnnTi. 

1911 


i) 


Onribpes  Chïtioïses 


NOTICE   HISTORIQUE 


Ce  n*estpas  dans  l'Antiquité  qu'il  faut  recher- 
cher l'origine  des  Ombres  Chinoises,  il  est 
probable  cependant  que  nos  aïeux,  aussi  ingé- 
nieux que  nous,  ont  du  se  récréer  avec  ces  jeux 
de  l'ombre  qui  donnent  l'illusion  de  la  vie  à  des 
êtres  sans  couleur  ;  mais  il  n'en  est  fait  mention 
nulle  part  et  c'est  seulement  en  1770  que  nous 
les  voyons  apparaître  en  France. 

Paris  n'eut  pas  tout  d'abord  l'honneur  d'avoir 
produit  cette  nouveauté  ;  ce  fut  à  Versailles  dans 
le  Jârdm  Lannion  (situé  alors  où  Ton  voit  aujour- 
d'hui le  n''  25  de  la  rue  Satory)  que  François 
Dominique  Séraphin,  alors  âgé  de  vingt-trois  ans, 
établit  son  premier  théâtre.  Il  l'avait  installé  au 
fond    d'une   auberge   qui  occupait  le  principal 


Ombres  chinoises 


corps  de  logis  de  l'hôtel  Lannion.  Le  succès 
ne  se  fit  pas  attendre.  Les  seigneurs,  les  grandes 
dames  s'y  donnaient  rendez-vous,  et  leurs  en- 
fants y  coudoyaient  les  enfants  du  peuple.  La 
renommée  de  ces  Ombres  à  scènes  changeantes 
—  telle  était  leur  première  appellation  —  fran- 
chit bientôt  les  grilles  du  Palais  de  Versailles  et 
Séraphin  ne  tarda  pas  à  faire  son  apparition  à  la 
cour.  Pendant  le  Carnaval,  dit  Cléry,  dans  ses 
Mémoires,  il  y  jouait  trois  fois  par  semaine,  et  il 
fit  tant  de  plaisir  qu'il  fut  autorisé  à  prendre  le 
titre  de  Spectacle  des  Enfants  de  France. 

Séraphin  sentit  alors  l'ambition  se  glisser  dans 
sa  tète  en  même  temps  que  les  écus  roulaient 
dans  sa  bourse;  Versailles  ne  lui  suffit  plus.  A 
un  homme  si  bien  en  cour,  il  fallait  un  théâtre 
plus  vaste,  un  public  plus  nombreux,  Paris, 
enfin,  qui  consacre  toutes  les  renommées  ;  aussi 
en  1784,  Séraphin  se  fixe-t-il  dans  les 
galeries  du  Palais  Royal  qui  venaient  d'être  ter- 
minées. C'est  le  8  septembre  qu'eut  lieu  l'in- 
auguration de  ce  nouveau  théâtre.  Les  repré- 
sentations avaient  lieu  tous  les  jours,  à  six  heures 
du  soir  ;  les  dimanches  et  fêtes,  il  y  en  avait  deux, 
l'une  à  cinq  heures  et  l'autre  à  sept.  L'entrée 
coûtait  vingt-quatre  sous.  L'orchestre  se  com- 


Notice  historique 


posait  d'un  clavecin  touché  par  Monsieur  Mozin, 
rainé. 

Comme  les  Versaillais,  les  Parisiens  firent 
fête  à  ce  petit  spectacle  et  c'est  à  qui  viendrait 
applaudir  :  Le  Pont  cassé,  La  chasse  aux  canards, 
Le  magicien  Rothomago,  V embarras  du  ménage. 
Arlequin  corsaire,  etc.,  etc. 

Succès  oblige  !  Séraphin,  tout  en  donnant  la 
première  place  à  ces  ombres,  voulut  corser  son 
spectacle.  En  1797,  il  y  ajouta  Polichinelle  et 
un  jeu  courant  de  marionnettes.  Quand  je  dis 
Séraphin,  je  veux  parler  de  son  successeur, 
Moreau,  ancien  acteur  de  chez  Audinot,  à  qui 
Séraphin  avait  cédé  son  théâtre  en  1790. 

Moreau,  dans  une  circulaire  avait  averti  le 
public  de  ce  changement  de  direction  :  — 
«  M.  Séraphin,  me  cède  aux  conditions  les  plus 
agréables  et  les  plus  utiles  pour  moi,  l'infiniment 
petit  spectacle  des  Ombres  Chinoises  ;  el  le 
plus  petit  des  acteurs  est,  enfin,  devenu  le  plus 
petit...  mais,  à  coup  sur,  le  plus  zélé  des  direc- 
teurs de  Paris.  » 

Hélas  I  ce  zélé  directeur,  avant  la  fin  d'une 
année,  était  obligé  de  rendre  son  théâtre  à  Sé- 
raphin, 

Ce  pauvre  Moreau,  du  reste,  ne  fut  pas  heu- 


Ombres  chinoises 


reux  dans  ses  entreprises  ;  en  quittant  Séraphin, 
il  s'avise  de  lui  faire  concurrence.  Lorsque  la 
Liberté  des  Théâtres  eut  été  décrétée  en  jan- 
vier 1791,  il  installa  dans  un  sous-sol,  devenu 
depuis  le  Café  des  Aveugles,  un  petit  spectacle 
qu'il  intitula  :  Les  Comédiens  de  bois.  Son  en- 
treprise dura  à  peine  quelques  mois.  Il  végéta 
ensuite  et  fut  réduit  à  se  donner  en  spectacle 
sur  les  places  publiques.  Il  mourut  à  Marseille 
en  1816, 

Séraphin,  ayant  donc  repris  la  direction  de 
son  spectacle,  fit  revenir  la  foule  à  son  théâtre 
et,  pour  flatter  son  auditoire,  donna  des  pièces 
patriotiques  qu'il  n'eut  certes  pas  osé  jouer  au- 
trefois à  Versailles.  Je  ne  crois  pas  qu'on  lui  en 
sut  gré.  Il  mourut  à  l'âge  de  cinquante-trois  ans 
le  5  septembre  1800. 

Ce  fut  son  neveu  qui  lui  succéda  et  qui  pen- 
dant quarante  ans,  dirigea  avec  zèle  son  petit 
théâtre.  —  Outre  les  ombres  et  les  marion- 
nettes, il  avait  ajouté  des  transformations  méca- 
niques qu'il  appelait  :  Métamorphoses,  puis 
Points  de  vue  mécaniques.  Il  avait  même  obligé 
l'artiste  qui  tenait  le  piano,  Théodore  Mozin, 
à  chanter  de  temps  en  temps,  en  s'accompa- 
gnant,  des  petites  romances  de  sa  composition. 


Notice  historique 


En  1844,  le  neveu  de  Séraphin  mourut  à  son 
tour,  et  ce  fut  son  gendre  qui  lui  succéda.  Très 
actif,  très  intelligent,  il  donna  des  pièces  à  cos- 
tumes ;  il  ajouta  des  tableaux  de  fantasmagorie, 
un  diaphanorama  et  des  intermèdes  de  chant. 
Ses  affaires  allaient  très  bien  jusqu'en  1848  ;  il 
put  croire  que  lui  aussi  allait  faire  fortune;  mais 
les  temps  étaient  changés;  il  se  soutint  tant  bien 
que  mal  pendant  dix  ans,  1858,  époque  à  laquelle 
il  dut  émigrer  du  Palais-Royal  au  Boulevard 
Montmartre. 

Dans  cette  nouvelle  salle,  plus  grande  que  la 
première,  il  crut  d'abord  avoir  retrouvé  sa  chance , 
mais  la  mort  vint  le  frapper. 

Sa  veuve,  avec  un  associé,  essaya  de  conti- 
nuer l'entreprise,  mais  la  vogue  était  passée  et, 
le  15  août  1870,  les  Ombres  Chinoises  avaient 
vécu. 


Il  était  réservé  au  Cabaret  du  Chat  Noir  de 
ressusciter  ce  petit  spectacle  et  à  Caran  d'Ache 
de  lui  ramener  sa  vogue,  grâce  à  T Epopée, 
cette  légende  napoléonienne  découpée  dans  un 
soleil   de   gloire.    Le  gentilhomme  cabaretier, 


10  Ombres  chinoises 

Rodolphe  Salis,  est  bien  aussi  pour  quelque 
chose  dans  cette  résurrection,  grâce  à  sa  faconde 
et  à  sa  pléiade  de  chansonniers  gaillards. 

Il  faut  dire  aussi  que  les  ombres,  destinées 
d'abord  à  amuser  les  petits,  sont  devenues  au- 
jourd'hui la  récréation  des  grands  et  des  déhcats. 
Ce  ne  sont  plus  des  pièces  enfantines,  comme 
Le  Pont  cassé,  ou  des  féeries  comme  Alcofnbas, 
les  temps  sont  changés. 

Le  recueil  que  nous  offrons  à  nos  lecteurs  a 
été  fait  par  un  auteur  bien  connu  pour  savoir 
amuser  les  enfants  et,  en  même  temps,  intéres- 
ser leurs  parents.  Les  petites  pièces  dont  il  est 
composé  sont  à  la  hauteur  de  l'instruction  mo- 
derne qui  bannit  la  niaiserie,  l'enfantillage  et 
surtout  le  pédantisme;  c'est  un  spectacle  de 
famille  qui  plaira  aux  grands,  aussi  bien  qu'aux 
petits. 


Construction  du  Théâtre  et  des  ombres 


I 

Le  Théâtre 


La  manière  la  plus  simple  et  la  plus  économique  d'ins- 
taller un  théâtre  d'ombres  est  d'établir  dans  la  baie  d'une 
porte  un  cadre  de  43  c.  d'ouverture  sur  30  c.  de  hauteur. 
Sur  le  cadre  à  bords  plats,  vous  fixez  une  toile  blanche, 
gommée,  sur  laquelle  devront  apparaître  les  ombres. 

Au  bas  du  cadre  vous  clouez  une  baguette  de  bois  de  01  c. 
d'épaisseur  et  en  haut  vous  tendez  un  fil  de  fer;  ces  deux 
accessoires  placés  en  dedans  servent  l'un,  à  faire  glisser  les 
ombres,  et  l'autre,  à  les  soutenir. 

Un  piano  sera  placé,  du  côté  du  public,  juste  en  face  de 
la  scène. 

II 
Les  Décors 

A  droite  et  à  gauche  de  cette  toile  blanche  gommée  dont 
je  parle  plus  haut,  vous  placerez  des  coulisses  découpées 
indiquées  pour  chaque  pièce.  Ce  sont  des  cartonnages  peints 
en  noir. 

III 
Les  Ombres 

Les  ombres,  qui  accompagnent  ce  volume,  sont  dessinées 
sur  des  feuilles  spéciales.  Pour  s'en  servir,  il  faut  d'abord 


12  Ombres  chinoises 


les  coller  sur  du  carton  léger  —  du  bristol  ou  de  la  carte  î 
ensuite  peindre  en  noir,  encre  de  chine  ou  vernis  noir,  le 
verso  de  l'image.  Les  personnages,  sauf  quelques-uns,  étant 
soutenus  et  mus  par  le  haut  du  théâtre,  auront  au  sommet 
de  la  tête  une  tige  en  fil  de  laiton  qui  pourra  s'accrocher  au 
fil  de  fer  tendu  au  haut  du  théâtre.  A  cette  tige  seront  liés 
les  divers  fils  destinés  à  faire  mouvoir  les  articulations  des 
personnages,  ces  fils  seront  minces  et  blancs.  Quand  la 
feuille  d'ombres  sera  collée  sur  le  cartonnage  et  que  le  verso 
sera  peint  en  noir,  il  faudra  procéder  au  découpage  soit 
avec  un  canif,  soit  avec  des  petits  ciseaux.  Cela  demande 
une  certaine  application. 

Certaines  ombres  doivent  être  animées:  coupez  et  percez 
avec  une  aiguille  les  deux  parties  qui  doivent  être  assem- 
blées ;  passez  un  fil  que  vous  arrêterez  par  un  nœud  de 
chaque  côté  du  sujet,  sans  trop  serrer,  de  façon  de  laissera 
la  partie  articulée,  jambes,  bras,  etc.  la  faculté  de  se  mou- 
voir. 


Représentations 

Il  est  de  toute  nécessité  que  la  salle  soit  dans  une  obscurité 
complète.  Votre  lumière  étant  dans  le  théâtre  permettra  au 
spectateur  de  voir  parfaitement  les  personnages. 


Eclairage 

La  question  de  l'éclairage  est  importante.  11  faut  que  la 
clarté  soit  uniforme  et  que  la  flamme  qui  la  produit  ne  se 
reflète  pas  sur  l'écran.  Une  bonne  lampe  à  pétrole  avec 
réflecteur  puissant  peut  faire  l'affaire.  On  la  place  sur  un 
meuble  un  peu  élevé  au  fond  du  théâtre  et  on  règle  sa 


Construction  du  théâtre  13 

hauteur  de  façon  à  ce  que  l'écran  reçoive  toute  la  lumière. 
Il  vaut  mieux  la  placer  plus  haut  que  plus  bas. 

Nous  conseillons  plutôt  la  lampe  à  projections  au  gaz 
oxhydrique  qui  a  l'avantage  de  donner  plus  de  clarté  et  qui 
permet,  si  l'on  a  pu  photographier  les  décors,  de  les 
représenter  en  projection. 


LA  FÊTE  DE  CATHERINE 


Les  indications  pour  les  entrées  et  les  sorties  des  person- 
nages sont  prises  du  public. 

Catherine  (Droite.) 
Babolein  (Gauche.) 

L'Ane.  —  Le  Renard.  —  Le  Porc.  —  La  Biche.  —Le  Lièvre. 
—  La  Panthère.  —  Le  Lion.  —  Le  Porc-épic.  —  L'Ours.  — 
L'Éléphant.  —  Le  Rhinocéros. 

Ces  onze  animaux  n'ont  que  la  tête  d'animale.  Le  reste 
du  corps  a  des  vêtements  humains  appropriés  à  leur 
caractère.  Ils  entrent  par  la  gauche  et  traversent  le  théâtre. 
Il  en  est  de  même  des  cinq  animaux  suivants  qui  ne  portent 
pas  de  vêtements. 

La  Vache.  —  Le  Mouton.  —  La  Chèvre.  —  Le  Chien.  — 
Le  Chat. 

DÉCOR 

Cour  de  ferme.  —  Maison  à  droite.  —  Arbres  à  gauche. 

COSTUMES 

Catherine,  en  fermière,  Babolein^  en  paysan. 


La   Fête  de  Catherine 


PIÈCE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 


CATHERINE. 

L'Ane. 
Le  Renard. 
Le  Cochon. 
La  Biche. 
Le  Lièvre. 
La  Panthère. 
Le  Lion. 
L«  Porc-épic. 


BABOLEIN. 

L'Ours. 
L'Éléphant. 
La  Vache. 
Le  Rhinocéros. 
Le  Mouton. 
La  Chèvre. 
Le  Chien. 
Le  Chat. 


16  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 
BABOLEIN,  pms  CATHERINE. 

BABOLIIN. 

Mère  Catherine  !  Mère  Catherine  ! 

CATHERINE,  sortaut  de  chez  elle. 
Hein!  Qui  qui  m'appelle?  Tiens!  C'est  toi  Babolein? 

BABOLEIN. 

Ma  fine  oui,  c'est  moi  ! 

CATHERINE. 

Et  que  que  tu  veux,  mon  gas  ? 

BABOLEIN. 

Eh  ben,  mais,  je  viens  vous  voir  et  vous  souhaiter  une 
bonne  fête. 

CATHERINE. 

Comment!  Une  bonne  fête?  Mais,  mon  fils,  la  fête  est 
passée,  c'était  jeudi  dernier. 

BABOLEIN. 

C'est  y  ben  vrai  ?  Mais  voilà,  jeudi  je  n'étions  point  prêt. 

CATHERINE. 

Comment  dis-tu?  Point  prêt!  Tu  as  oublié  la  date. 

BABOLEIN. 

Non  !   Non  !    J'voulais  vous  faire  une   surprise,   mais 
j'm'étais  mis  en  retard. 

CATHERINE. 

Explique-toi. 


La  fête  de  Catherine  17 

BABOLEIN. 

Eh  ben,  voilà.  Vous  êtes  la  mère  aux  bêtes,  pas  vrai  ? 
Vous  les  aimez  ben  ? 

CATHERINE. 

Oui,  je  t'aime  ben,  mon  fils. 

BABOLEIN. 

Il  ne  s'agit  pas  de  moi.  11  s'agit  des  botes. 

CATHERINE. 

Ça  ne  fait  rien  !  Je  ne  fais  pas  de  distinction  dans  mes 
amitiés. 

BABOLEIN. 

Hein?  Vous  m'aimez  comme  une  bote? 

CATHERINE. 

C'est  la  meilleure  manière  d'aimer. 

BABOLEIN. 

Alors  j'accepte  cette  façon-là.  Voici  ce  que  je  venais  vous 
dire  :  Vous  qui  êtes  la  mère  aux  botes... 

CATHERINE. 

Oui,  oui!  C'est  ainsi  qu'on  m'appelle. 

BABOLEIN. 

Si  vous  m'interrompez  toujours... 

CATHERINE. 

Allons  I  Parle,  je  me  tais. 

BABOLEIN. 

Eh  bien,  j'ai  réuni  un  tas  de  bêtes  qui  vont  venir  vous 
complimenter. 

CATHERINE. 

Des  bêtes  !  Quelles  bêtes  ? 

BABOLEIN. 

Oh  I  des  grosses,  des  petites  ;  la  force  et  la  faiblesse,  la 


^8  Ombres  chinoises 


bonté  et  la  méchanceté  !  —  Oh!  ne  craignez  rien.  Toutes  se 
conduiront  bien.  Je  ne  vous  demande  qu'une  chose,  c'est  de 
les  recevoir. 

CATHERINE. 

Hum!  Les  recevoir... 

BABOLEIN. 

Oh!  Il  n'y  aura  aucun  danger. 

CATHERINE. 

C'est  égal  !  Les  bêtes  que  j'aime  pourraient  bien  ne  pas 
me  rendre  la  pareille.  Je  vais  me  mettre  à  l'abri  dans  ma 
chaumière.  Tu  leur  diras  qu'elles  me  glissent  leur  compli- 
ment à  travers  la  porte.  (Elle  sort). 


SCÈNE  II 

BÂBOLEIN. 

Ah  !  Voilà  ce  que  je  craignais!  Elle  a  peur,  et  moi  qui 
voulais  l'amuser  et  la  surprendre.  J'ai  eu  tort  de  ne  pas 
tout  lui  dire...  Car  c'est  un  secret!  Un  secret!  Voilà  une 
chose  difficile  à  garder  ;  moi  qui  suis  si  bavard  1  Je  dirais 
même  que  je  suis  bavard  comme  une  petite  fille,  s'il  n'y 
avait  pas  de  petites  filles  ici...  Voyons!  Serez-vous  dis- 
crètes? Vous  me  le  promettez?  Alors  je  vais  tout  vous  dire. 
Oh!  mais  si  vous  bavardez,  je  le  saurai,  mon  petit  doigt  me 
le  dira.  D'abord  je  vais  vous  dire  ce  qu'est  la  mère  Cathe- 
rine. 

Air  :  La  Moqueuse.    . 

N»  9  des  Chants  du  2*  Age.  L.  Houssot. 

i 

Catherine  est  un'  bonne  vieille 

Qui  n'aime  que  les  animaux  ; 

Dès  que  le  soleil  la  réveille 

Elle  îpnv^'  du  gruiu  aux  oise«ux.  {bit) 


La  fête  de  Catherine  19 


bis 


Elle  fait  leur  part  aux  poulettes, 
Aux  pigeons,  même  au  gros  dindon  ; 
Bref,  on  Tappell'  la  mère  aux  bêtes 
Elle  n'a  pas  volé  son  nom  ! 

II 

Aux  animaux  elle  s'attache; 

Il  fant  la  voir,  en  bavolet, 

Tantôt  menant  paître  sa  vache 

El  tantôt  recueillant  son  lait,  (bis) 

A  tous  elle  fait  des  risettes 

Aux  moutons  et  même  aux  cochons, 

Bref,  on  l'appell'  la  mère  aux  bêtes    »    ,  . 

Elle  n'a  pas  volé  son  nom  !  \ 

Vous  la  connaissez  maintenant..  Tout  ce  qui  est  faible, 
tout  ce  qui  est  jeune  lui  plaît.  Elle  donne  des  gâteaux  aux 
petites  filles  et  des  miettes  de  pain  aux  petits  oiseaux.  Elle 
dit  qu'il  faut  laisser  voler  les  papillons  et  ne  pas  mettre 
dans  une  boîte  les  bêtes  à  bon  Dieu.  Et  puis  surtout  ne  pas 
battre  les  chiens,  les  jolis  petits  chiens,  si  bons,  si  fidèles. 
Oui,  oui,  elle  est  bonne,  la  mère  Catherine  1  Mais  introdui- 
sons ses  amis,  car  au  fait,  j'oubliais  de  vous  le  dire,  ce  sont 
ses  amis  qui  vont  lui  rendre  visite.  Sachant  sa  bonté  pour 
les  animaux,  ils  ont  chacun  revêtu  un  costume  personnifiant 
tel  ou  tel  animal  et  tout  cela  pour  la  faire  rire.  Mais  je 
bavarde  trop,  je  leur  laisse  la  place.  {Il  sort.) 


SCÈNE  III 

(Les  animaux  entrant  dans  l'ordre  suivant  et  traversant  le 
théâtre)  L'Ane,  le  Renard,  le  Cochon,  la  Biche,  le 
Lièvre,  la  Panthère,  le  Lion,  le  Porc-épic,  l'Ours, 
l'Éléphant,  le  Rhinocéros. 

l'ane. 
Hi!  Han!  Hi  han  !  Mère  Catherine,  je  suis   le  maître 


20  Ombres  chinoises 

d'école  de  votre  village,  Thomas  l'âne.  Je  ne  sais  pas  grand'- 
chose  mais  je  sais  apprendre  à  lire  aux  petits  enfants  et  je 
vous  rends  bien  mes  devoirs.  (Il  sort.) 

LE   RENARD. 

Bonjour,  Mère  Catherine,  je  suis  Monsieur  le  Renard, 
j'ai  de  jolis  poulets  dans  mon  sac  I  Si  vous  en  voulez  un, 
vous  n'avez  qu'à  le  dire,  car  je  les  ai  volés  pour  vous. 
J'entends,  vous  n'aimez  pas  cela.  Eh  bien  non,  je  ne  les  ai 
pas  volés  quoique  renard,  mais  pour  Mère  Catherine  que  ne 
ferait-on  pas  ?  Même  une  bonne  action  !  Allons  !  Allons  ! 
Acceptez  mon  cadeau  !  Il  part  du  cœur...  et  du  poulailler  I 
(Il  sort.) 

LE  COCHON. 

Hin!  Hin!  Bonjour,  mère  Catherine,  je  suis  votre  cuisi- 
nier. J'ai  eu  le  prix  au  concours  de  Poissy,  car  j'ai  de  bons 
jambonneaux.  Je  m'en  vais  vous  apporter  une  aune  de 
boudin.  {Il  sort.) 

LA    BICHE. 

OÙ  ôtes-vous,  mère  Catherine,  vous  vous  cachez!  Montrez 
vous  donc  !  Venez  voir  votre  petite  biche  chérie,  comme 
vous  m'appeliez  !  Mais  non,  ne  vous  dérangez  pas,  je  vais 
vous  retrouver.  {Elle  sort.) 

LE   LIÈVRE. 

Ah!  Mon  Dieu  que  j'ai  eu  peur  I  En  venant  ici  je  viens 
de  voir  un  homme  avec  un  fusil,  non,  ce  n'était  pas  un 
fusil,  c'était  un  bâton,  il  m'a  mis  en  joue  et  j'ai  détalé,  je 
ne  vous  dis  que  ça!  Mais  voyez  comme  j'ai  eu  peur  :  j'ai 
cru  que  le  bâton  était  chargé,  comme  les  fusils  et  j'ai  joué 
des  pattes.  Ah!  c'est  vrai  que  je  suis  peureux,  mais  pas 
auprès  de  mère  Catherine  à  qui  je  souhaite  une  bonne  fête. 
{Il  sort.) 


La  fête  de  Catherine  21 

LA   PANTHÈRE. 

Madame  Panthère  peut-elle  entrer?  Où  est  donc  cette 
bonne  mère  Catherine  que  je  la  croque...  de  baisers  et  que 
je  lui  montre  ma  belle  fourrure.  L'hiver,  je  viendrai  me 
coucher  sur  ses  pieds  pour  la  réchauffer.  Ne  craignez  rien, 
mère  Catherine,  j'ai  rentré  mes  griffes.  {Elle  sort.) 

LE   LION. 

Bien  que  je  sois  le  Roi  des  animaux  et  qu'on  me  doive 
tous  les  respects,  je  m'incline  devant  vous  ma  bonne 
madame  Catherine.  Si  l'on  vous  fait  jamais  quelque  dom- 
mage, comptez  sur  moi.  (Il  sort.) 

l'éléphant. 
Ah  I  que  j'éprouve  le  besoin  de  serrer  cette  bonne  mère 
Catherine  sur  mon  cœur  !  Pourvu  que  je  ne  l'écrase  pas  ! 
C'est  que  si  j'allais  me  tromper...  Entrons  !  (Il  sort.) 

LE    PORC-ÉPIC. 

Moi,  vilain  nègre,  toujours  sur  ses  gardes  !  Moi,  bon  petit 
porc-épic  dire  bonjour  à  madame  Catherine. 

Air  :  Dansex  Canada. 

Dansez  Canada, 
Zizl  boubou, 
Dansez  Canada, 
Toujours  comm'  ça. 

Peux  pas  embrasser 
Bonn'  tit'  mèr«  Catherine 
Parc'  qu'«ir  ditjqtt'ma  barbe 
Ça  la  piqu'  toujours.  (REPRiis.) 

(Il  sort.) 

l'ours. 

Et  moi  aussi,  je  viens  vous  saluer,  mère  Catherine,  quoi- 


22  Ombres  chinoises 

que  je  sois  assez  ours  d'habitude...  Ohl  vous  vous  reculez! 
N'ayez  pas  peur,  je  ne  vous  mangerai  pas.  (Il  sort.) 
LE  RBiNOcÉRos,  damant. 
En  votre  honneur,  mère  Catherine,  je  veux  danser  un 
petit  pas.  (Il  danse  et  sort.) 


SCÈNE  IV 

CATHERINE,  sortaut  vivèmcnt  de  la  maison. 
Je  n'en  veux  plus  !  Je  ne  reçois  plus.  Trop  de  bêtes  et 
encore  de  grosses  bétes  qui  me  font  mourir  de  peur  I  Babo- 
lein  !  Babolein  ! 


SCÈNE  V 
CATHERINE,  BABOLEIN. 

BABOLEIN. 

Me  voilà,  dame  Catherine,  me  voilà  !  Eh  bien  ôtes-vous 
contente?  Vous  en  ai-je  adressé  assez  de  bètes?  Avez-vous 
assez  reçu  de  compliments  ? 

CATHERINE. 

J'en  ai  reçu  trop,  mon  fils,  et  je  ne  demandais  pas  la 
visite  de  tous  ces  monstres  que  tu  m'as  envoyés. 

BABOLEIN. 

Des  monstres  I  Eiccusez  !  Les  plus  beaui^  animaux  de  la 
création. 

CATHERINE. 

C'est  bien  possible,  mais  ce  ne  sont  pas  mes  animaux  à 
moi,  ils  ne  vivent  pas  avec  itooi. 


La  fête  de  Catherine  23 

BABOLEIN. 

Alors,  ces  animaux-là,  vous  ne  les  aimez  point  ? 

CATHERINE. 

Si,  je  les  aime  tout  de  même,  mais  de  loin.  Ce  ne  sont 
pas  ces  bêtes-là  que  je  préfère.  Vous  le  savez  bien,  grand 
innocent.  Est-ce  que  vous  m'avez  vu  jamais  caresser  un 
lion,  un  ours,  un  éléphant  et  embrasser  un  porc-épic? 

BABOLEIN. 

Dame  !  J'avais  cru  bien  faire!  Je  m'étais  dit  :  Pour  la  fête 
de  dame  Catherine,  il  n'y  a  rien  qui  soit  trop  beau.  Puis- 
qu'elle aime  les  bêtes,  il  faut  lui  amener  celles  qu'elle  ne 
voit  pas  d'habitude,  ça  lui  fera  plus  de  plaisir. 

CATHERINE. 

Tu  n'as  pas  réfléchi  que  ces  bêtes-là  ne  me  connaissent 
pas  plus  que  je  ne  les  connais  moi-même.  Elles  m'ont  bien 
fait  les  compliments  que  tu  leur  as  dictés,  mais  elles  ne 
m'ont  pas  paru  très  convaincues  :  Le  lion  me  faisait  les  gros 
yeux  et  léchait  ses  babines  ;  la  panthère  semblait  prête  à 
bondir  sur  moi;  le  cochon  me  flairait  comme  si  j'étais  une 
truffe  ;  l'ours  ouvrait  les  bras  comme  si  il  allait  me  faire 
valser;  l'âne,  en  dressant  ses  oreilles,  chantait  une  chanson 
qui  écorchait  les  miennes  ;  enfin  tous  me  faisaient  plutôt 
peur  que  plaisir. 

BABOLEIN. 

Excusez-moi,  madame  Catherine,  moi,  j'avais  cru  bien 
faire  ;  mais  je  peux  encore  tout  réparer. 

CATHERINE. 

Non  !  Non  1  Je  te  remercie,  je  ne  veux  plus  voir  personne. 

BABOLEIN. 

Ce  n'est  pas  possible  !  Votre  fête  ne  peut  pas  se  passer 
comme  cela...  Ils  sont  là  qui  attendent  le  moment  de  se 


24  Ombres  chinoises 

présenter  ;  ce  sont  vos  benjamins.   Ils  comptent  bien  que 
TOUS  allez  leur  faire  bon  accueil. 

CATHERINE. 

Allons  !  Je  Teux  bien,  fais-les  entrer. 


SCÈNE  VI 

Les  Mêmes,  puis  La  Vache,  Le  Mouton,  La  Chèvre, 
Le  Chien,  Le  Chat,  entrant  tour  à  tour. 

BA60LEIN. 

Voilà  votre  laitière. 

LA    VACHE. 

Bonjour  notre  maîtresse,  je  tous  apporte  du  bon  lait, 
bien  crémeux,  avec  lequel  vous  pourrez  faire  d'excellents 
fromages,  j'ai  déjeuné  ce  matin  dans  une  prairie  où  il  y 
avait  beaucoup  d'herbes  aromatiques  et  vous  verrez  que 
mon  lait  s'en  ressent.  Bonne  fête,  notre  maîtresse.  (Elle 
sort.) 

CATHERINE. 

A  la  bonne  heure  !  Je  la  reconnais,  ma  bonne  vache.  Je 
te  remercie,  je  vais  te  traire  tout  à  l'heure. 

BABOLEIN. 

Voici  votre  mouton. 

CATHERINE. 

Ah  !  mon  petit  mouton  1  Que  tu  es  gentil  !  Toi  aussi  tu 
Teux  me  fêter  ?  Pour  te  récompenser,  je  te  donnerai  une 
petite  sonnette  que  j'attacherai  à  ton  cou  aTec  un  ruban 
bleu,  comme  cela,  si  tu  te  perds  dans  les  champs,  on  et 
retrouvera. 


La  fête  de  Catherine  25 

BABOLEIN. 

Ça  VOUS  fait  plaisir,  hein?  Voici  maintenant  Totri 
chèvre. 

CATHERINE. 

Quoi  !  ma  chèvre  aussi  1  Ah  1  la  petite  capricieuse  !  Mlle 
s'est  décidée  à  venir  !  Voilà  qui  est  gentil  de  sa  part  I  {On 
entend  un  chien  qui  aboie.) 

BABOLEIN. 

Et  celui-là,  le  reconnaissez-vous  ? 

CATHERINE. 

Mon  petit  chien  1  Viens,  mon  toutou,  viens  que  jt  t'em- 
brasse î  Nous  sommes  tous  deux  amis,  dis  ?  (Le  chien 
aboie.)  Oua  !  Oua  !  Oui,  tu  me  reconnais,  tu  es  content. 
Tu  auras  un  bonbon  tout  à  l'heure. 

BABOLEIN. 

Il  n'y  en  a  plus  qu'un  maintenant,  devinez  lequel  ! 

CATHERINE. 

Un  moineau,  une  colombe,  une  poulette  ? 

BABOLIIN. 

Non,  ce  n'est  pas  un  oiseau. 

CATHERINE. 

Un  lézard  ?  Un  poisson  rouge. 

BABOLEIN. 

Non  !  non  I  Ce  n'est  pas  cela. 

CATHERINE. 

Alors,  je  donne  ma  langue  au  chat. 

BABOLIIN. 

Précisément!  C'est  votre  chat.  (Le  chat  fait  miaou 
miaou.) 


26 


Ombres  chinoises 


Catherine. 
Quoi  î  C'est  mon  minet.  Je  n'y  avais  pas  pensé  î 

LE  CHAT. 

Je  t'ai  pourtant  débarrassée  de  deux  souris  ce  matin. 

BABOLEIN. 

Eh  ben,  mère  Catherine,  ôtes-vous  contente  ? 

CATHERINE. 

Je  crois  bien,  mon  bon  Babolein  !  Mais  vois-tu  de  toutes 
ces  bètes-Ià,  c'est  encore  toi  que  j'aime  le  plus  ! 


(RIDEAU) 


L'INFORTUNÉ  VOYAGEUR 


II 


L'INFORTUNÉ  VOYAGEUR 


Labredouille  (D). 

Nicolas  (D). 

Li  Voyageur. 

Tromboli. 

Escopetto. 

la  Biquette  (D). 


DECOR 


Une  cour  d'auberge.  —  Auberge  à  droite.  —  Grange  à 
gauche.  —  Clôture  et  porte  charretière  à  jour. 


COSTUMES 

Labredouille,  Costume  d'aubergiste. 
Nicolas,  Costume  de  valet  de  ferme. 
Le  Voyageur,  Chapeau  mou,  veston,  puis  costume  de 

gendarme. 
Tromboli,  Costume  de  voleur,  culotte  courte,  veste, 

chapeau  mou. 
Escopetto,  Costume  de  voleur,  culotte  courte,  veste, 

chapeau  mou. 
La  Biquette,  Costume  de  servante  d'aubeiçe. 


L'Infortuné  Voyageur 


PIÈCE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 


LABREDOUILLE,  aubergiste. 

NICOLAS,  domestique  de  Labredouille. 

L'Infortuné  Voya n  eu r  . 

TROMBOLI.      ( 

ESCOPETTO,    s    ^'*^^"'^'- 

LA  BIQUETTE,  servante  d'auberge. 


30  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 
LABREDOUILLE,  NICOLAS,  puis  Le  Voyageur. 

LABRKDouiLLE,  sortunt  de  l'auberge. 
Dis  donc,  Nicolas  ? 

NICOLAS. 

Notre  maître? 

LABREDOUILLE. 

Quelle  heure  est-il  ? 

NICOLAS. 

Pas  loin  de  midi,  notre  maître. 

LABREDOUILLE. 

A  quoi  que  tu  vois  c^  ?  l'u  n'as  pas  de  montre. 

NICOLAS 

C'est  vrai  que  je  n'ai  pas  de  montre,  mais  je  vois  ça  à 
mon  ventre.  II  est  toujours  midi  quand  j'ai  faim. 

LABREDOUILLE. 

T'as  peut-être  raison.  Voilà  la  voiture  de  Cocheville. 

NICOLAS. 

Elle  va  VOUS  amener  des  voyageurs.  {On  entend  des  cla- 
quements de  fouet  et  des  sons  de  trompette.) 

LABREDOUILLE,  allant  à  la  coulisse  de  gauche. 
Voilà  I  Voilà,  Messieurs  les  voyageurs,  Entrez  à  l'auberge. 
(À  un  voyageur  entré  par  la  gauche.)  Vous  êtes  seul  ? 

LB  VOYAGEUR. 

Oui,  Monsieur! 


Uinfortané  voyageur  31 

LABRBDOUILLE. 

Nicolas,  prends  les  bagages  de  Monsieur  et  porte-les  au 
premier,  au  numéro  2. 

NICOLAS. 

Oui,  notre  maître  I 

LABRIDOUILLE. 

Tu  iras  ensuite  détacher  les  chevaux  de  la  voiture. 

NICOLAS. 

Oui  notre  maître,  je  vas  leur  z'y  donner  du  foin.  (Il  sort 

avec  la  malle  du  voyageur.) 
LABRBDOUILLE,  coYiduisant  U  voyageur  dans  l'auberge. 
Venez,  Monsieur,  on  se  met  à  table  tout  de  suite  1  (Ils  ren 

trent  dans  l'auberge.) 


SCÈNE  II 
TROMBOLI,  ESCOPETTO. 

TROMBOLI. 
ESCOPETTO. 


Psitt  ! 
Psitt  ! 


TROMBOLI. 

Voilà  bien  l'auberge  où  nous  a  donné  rendez-vous  An- 
tonio. 

ESCOPETTO. 

Ne  l'appelle  pas  ainsi  I  Tu  sais  bien  qu'il  ne  veut  pas 
d'autre  nom  que  celui  de  L'infortuné  voyageur, 

TROMBOLI. 

Il  est  arrivé  ici,  c'est  certain.  Il  s'agit  maintenant  de 


32  Ombres  chinoises 

saroir  où  est  sa  chambre.  Allons  à  la  découverte  et  ne  nous 
faisons  pas  surprendre. 

ESCOPETTO. 

Oh  I  dans  cette  grande  auberge,  il  est  facile  de  se  cacher. 

TROMBOLI. 

Et  d'être  surpris.  Soyons  prudents  !  Moi,  je  me  cacherai 
dans  la  grange. 

ESCOPETTO. 

Et  moi,  dehors,  près  de  la  porte  !  Attention  I  On  vient, 
cachons-nous  I  (Ils  sortent.) 


SCÈNE  III 
LA  BIQUETTE  et  NICOLAS,  sortant  de  l'auberge. 

LA   BIQUETTE. 

Je  viens  de  préparer  la  chambre  du  voyageur. 

NICOLAS. 

T'as  rien  oublié? 

LA  BIQUETTE. 

Ma  fine  non  !  Je  lui  ai  mis  deux  couvertures  pour  qu'il 
n'ait  pas  froid. 

NICOLAS. 

T'as  bien  faiti  Faut  pas  oublier  non  plus  les  chevaux. 

LA  BIQUETTE. 

J'te  crois  !  J'vas  leur  donner  l'avoine,  toi,  tu  vas  servir 
les  voyageurs. 

NICOLAS. 

Pourquoi  qu'tu  n'ies  sers  pas,  toi  ? 


U infortuné  voyageur  33 

LA  BIQUETTE. 

Parce  que  j'aime  bien  mieux  donner  à  manger  aux  che- 
vaux. 

NICOLAS. 

A  ton  aise.  {Il  rentre  dans  l'auberge.) 

LA  BIQUETTE. 

Tiens  !  c'te  bêtise  !  Les  bêtes  d'abord  !  (Elle  rentre  dans  la 
grange  et  en  sort  aussitôt  suivie  par  Tromboli.) 

SCÈNE  IV 
LA  BIQUETTE,   TROMBOLI. 

TROMBOLI,  sortant  à  la  suite  de  la  Biquette. 
Hé  !  Dites  donc  !  Mamselle  !  Mamselle  ! 

LA  BIQUETTE. 

C'est-y  à  moi  que  vous  parlez?  J'suis  pas  une  demoiselle' 

AïK  :  Les  souliers  dans  la  cheminée. 

Dans  les  Chants  dit  ^*  Age.  L.  Houssot 

Je  suis  une  pauvre  servante 
Qui  sers  la  soupe  aux  voyageurs. 
Mais,  j'aime  mieux  et  je  m'en  vante, 
Nourrir  les  pauvres  travailleurs. 

Ces  bonnes  bêtes. 

Sont  aussi  faites 
Pour  savourer  leur  modeste  repas  ; 

Ça  m'humilie 

Qu'on  les  oublie 
Ces  bons  chevaux  qui  ne  réclament  pas. 
Aussi  j'ai  les  mains  toujours  prêtes 
A  leur  apporter  des  douceurs 
E    tant  pis  pour  les  voyageurs 

Moi  j'aime  mieux  les  bêtes  fbisj 


34  Ombres  chinoises 

TROMBOLI 

Ça  prouve  votre  bon  coeur  !  mais  ne  vous  sauvez  pas, 
comme  ça  I  Laissez-moi  vous  dire  bonjour. 

LA  BIQUETTE. 

Bonjour  !  mais  j'vous  connais  pas. 

TROMBOLI. 

Ça  ne  fait  rien.  Je  vous  dis  bonjour  tout  de  même. 

LA  BIQUETTE. 

Vous  ôtes  bien  poli!  Qu'y  a-t-il  pour  votre  service? 

TROMBOLI. 

Eh  bien,  un  voyageur  est-il  descendu  chez  vous  ce 
matin  ? 

LA  BIQUETTE. 

Oui  I  Un  seul  voyageur,  le  numéro  2. 

TROMBOLI. 

Ah  !  le  numéro  2  ? 

LA  BIQUETTE. 

Oui,  à  cette  fenôtre-là.  Au  premier  au-dessus  de  la  porte. 
Vous  voulez  lui  parler?  Il  est  en  train  de  déjeuner,  mais 
il  aura  bientôt  fini. 

TROMBOLI. 

C'est  inutile,  ne  le  dérangez  pas,  je  reviendrai. 

LA  BIQUETTE. 

Vous  ôles  peut-ôtre  un  de  ses  amis  ? 

TROMBOLI 

Un  ami  intime. 

LA   BIQUETTE. 

Eh  bien,  il  sera  content  de  vous  voir. 


Vinfortuné  voyageur  55 

TROMBOLI. 

C'est  qu'il  y  a  longtemps  que  nous  no  nous  sommes  vus  ; 
11  ne  me  reconnaîtra  peut-être  pas. 

LA  BIQUETTE. 

Eh  bien,  dites-moi  votre  nom? 

TROMBOLI. 

Il  l'aura  sans  doute  oublié. 

LA  BIQUETTE. 

Tenez,  il  a  fini  son  repas.  Le  voici  qui  s'avance  par  ici. 

TROMBOLI. 

Diable  I  II  n'est  que  temps  de  filer  ! 

SCÈNE  V 

LA  BIQUETTE,  Le  Voyageur,  sortant  de  Vauhergt. 

LA  BIQUETTE. 

Venez  par  ici,  Monsieur.  Il  y  a  quelqu'un  qui  veut  vous 
parler. 

LE  voyageur. 

Quelqu'un  qui  veut  me  parler  I  Mais  je  ne  connais 
personne.  Je  suis  un  infortuné  voyageur  qui  n'a  ni  parents 
ni  famille  et  qui  voyage  sans  cesse  pour  ne  pas  rester  seul 
dans  sa  maison. 

LA   BIQUETTE. 

Pauvre  Monsieur  !  Comment  vous  appelez-vous  ? 

LE  VOYAGEUR. 

Je  ne  m'appelle  pas.  Autrefois  j'avais  un  nom,  mais  je 
l'ai  oublié.  Il  y  a  si  longtemps  que  je  ne  parle  plus  à  per- 
sonne, que  je  ne  m'en  souviens  plus  I 


36  Ombres  chinoises 

LA  BIQUETTE. 

Et  comment  ferez-vous  pour  le  mettre  sur  le  registre  de 
l'hôtel? 

LE   VOYAGEUR. 

Je  signerai  :  L'Infortuné  voyageur. 

LA  BIQUETTE,  émue. 

Ah  !  Monsieur,  que  vous  me  faites  de  la  peine. 

LE  VOYAGEUR. 

Brave  fille!  Allons,  ne  vous  attristez  pas. 

LA  BIQUETTE. 

Votre  chambre  est  prête,  si  vous  voulez  vous  y  reposer  I 

LE  VOYAGEUR. 

Tout  à  l'heure.  Je  veux  prendre  un  peu  l'air  auparavant. 

LA  BIQUETTE. 

A  votre  aise  !  (Elle  rentre  dans  l'auberge.) 

SCÈNE  VI 

Le  Voyageur,  puis  TROMBOLI. 

LE  VOYAGEUR. 

Me  voici  dans  la  place;  il  s'agit  maintenant  d'y  faire 
entrer  l'autre,  pourvu  qu'il  ait  bien  suivi  mes  recomman- 
dations et  qu'il  n'aille  pas  se  faire  pincer  ailleurs.  Je  vais 
toujours  risquer  le  signal  :  —  Psitt  I 

TROMBOLI,  entrant. 

Psitt  !  me  voilà  I 

LE  VOYAGEUR. 

Et  Escopetto? 

TROMBOLI. 

Il  est  aussi  ici. 


Uinfortuné  voyageur  37 

LE  VOYAGEUR. 

C'est  bien  !  Il  n'y  a  personne  dans  l'auberge,  par  consé- 
quent il  n'y  a  pas  grand  chose  à  faire,  mais  l'aubergiste  a 
des  écus  et  c'est  de  ce  côté-là  qu'il  faut  regarder. 

TROMBOLI. 

Regarder,  c'est  très  bien,  mais  donnez- nous  des  ordres. 
Faut-il  lui  brûler  la  cervelle,  le  poignarder,  l'étrangler  ? 

LE  VOYAGEUR. 

Vous  êtes  vraiment  trop  arriérés.  De  nos  jours  on 
n'emploie  plus  ces  moyens  violents...  qu'à  la  dernière 
extrémité. 

TROMBOLI. 

Alors  comment  allons-nous  faire? 

LE  VOYAGEUR. 

D'abord  nous  allons  dévaliser  la  chambre  de  notre  hôte. 
C'est  la  chambre  n°  1,  voisine  de  la  mienne,  n"  2;  vous 
mettrez  d'abord  notre  prise  en  sûreté,  puis  vous  vous 
laisserez  surprendre  par  la  gendarmerie. 

TROMBOLL 

Oh  !  aie  !  aie  I 

LE  VOYAGEUR. 

La  gendarmerie  ne  sera  pas  nombreuse.  Il  n'y  aura  qu'un 
gendarme.  Mais  n'ayez  pas  d'inquiétude.  Quand  vous 
aurez  vu  le  gendarme,  vous  serez  tout  à  fait  rassurés. 
Maintenant  ne  perdez  pas  de  temps,  allez  à  la  chambre 
n°  1  et  prenez  le  coffret  de  l'aubergiste,  puis  mettez-le  dans 
la  chambre  n"  2,  c'est-à-dire  la  mienne. 

TROMBOLL 

Et  puis  après  ? 

LE  VOYAGEUR. 

Après  ?  cela  va  bien  vous  étonner,  mais  il  faut  m'obéir 

3 


38  Ombres  chinoises 

aveuglément.  On  se  saisira  de  vous  et  on  vous  conduira  en 
prison. 

TROMBOLI. 

En  prison  t 

LE  VOYAGEUR. 

N'ayez  pas  peur,  c'est  moi  qui  vous  conduirai.  Mais  ne 
perdons  pas  de  temps.  Allez  de  suite  à  la  chambre  de 
l'aubergiste  et  emparez-vous  de  son  coffre  que  vous  porterez 
dans  la  chambre  à  côté,  qui  est  la  mienne.  Après  quoi, 
faites- vous  prendre.  Allez  ! 

TROMBOLI. 

Me  faire  prendre,  c'est  aller  en  prison  et  peut-être  en- 
suite être  pendu.  Il  faut  réfléchir.  (Il  entre  dans  l'au- 
berge.) 


SCÈNE  VII 
Le  Voyageur  puis  NICOLAS. 

LE  voyageur. 
Maintenant  allons  vite  changer  d'habit. 

NICOLAS. 

Via  mon  voyageur  d'à  c'matin  :  Bonjour  Monsieur  ! 

LE  VOYAGEUR. 

Bonjour  !  Comment  t'appelles-tu  ? 

NICOLAS. 

Nicolas  !  pour  vous  servir. 

LE  voyageur. 
Dis-moi  quand  repart  la  voiture. 


Vinfortuné  voyageur  39 

NICOLAS. 

Dame!    ici  ce  n'est  pas  un  endroit  passager.  Quand  nous 
n'avons  pas  de  voyageurs,  elle  ne  repart  pas. 

LE  VOYAGEUR. 

Mais  si  il  y  en  avait  ? 

NICOLAS. 

Eh  ben  elle  pourrait  repartir  de  suite. 

LE  VOYAGEUR. 

Alors,  écoute-moi.  Les  chevaux  ont  bien  mangé,  n'est-c« 
pas? 

NICOLAS. 

Pour  sûr,  Monsieur,  c'est  moi  qui  leur  ai  donné  l'avoine. 

LE  VOYAGEUR. 

Eh  bien,  tu  vas  les  atteler  et  attendre;  ta  voiture  sera 
pleine  tout  à  l'heure. 

NICOLAS. 

Bah  I  J'veux  bien,  moi. 

LE  VOYAGEUR. 

Et  c'est  toi  qui  nous  conduiras. 

NICOLAS. 

Pour  sûr,  c'est  moi.   D'autant  plus  que  le  postillon  fait 
son  somme. 

LE   V0YA6EUR. 

Ainsi  c'est  convenu,  apprête-toi.  (Il  rentre  à  l'auberge.) 


40  Ombres  chinoises 

SCÈNE  YIII 
NICOLAS,  puis  LA  BIQUETTE. 

NICOLAS. 

Il  ne  sera  pas  resté  longtemps  ici,  celui-là!  Faut  croire 
que  le  pays  ne  lui  plaît  point.  Hé  mais,  si  je  conduis  la 
voiture,  allons  prendre  le  manteau  que  j'ai  laissé  dans  la 
grange.  (Il  entre  dans  la  grange.) 

LA  BIQUETTE,  sortaul  de  l'auberge. 
Nicolas  !  Nicolas  !  Où  donc  es-tu  ?  Viens  vite  ! 

îJicoLAS,  sortant  de  la  grange. 
Que  que  t'as?  la  Biquette,  que  que  t'as? 

LA   BIQUETTE. 

J'ai...  J'ai  peur,  là  I  Tout  à  l'heure,  j'étais  dans  la 
chambre  de  notre  maître,  au  numéro  1,  quand  j'entendis  un 
meuble  craquer. 

NICOLAS. 

C'est  l'humidité,  ou  la  chesseresse,  l'un  des  deux  ;  il  n'y 
a  que  cela  qui  fait  parler  les  meubles. 

LA    BIQUETTE. 

Et  ça  les  fait-il  éternuer  ? 

NICOLAS. 

Ah!  po«r  ça,  je  ne  crois  pas. 

LA  BIQUETTE. 

Et  ça  les  fait-il  remuer  les  clefs  dans  les  serrures  ? 

NICOLAS. 

Ça  me  parait  impossible. 


Uinfortuné  voyageur  41 

LA  BIQUETTE. 

Comme  à  moi  !  Aussi,  comme  j'ai  pensé  que  c'était  un 
voleur,  j'm'ai  ensauvée  tout  de  suite  et  je  suis  venue  te 
chercher. 

NICOLAS. 

Oui,  mais  il  va  se  jeter  sur  nous  !  Si  seulement  j'avais 
une  arme,  un  bâton,  un  pistolet  un  fusil,  une  hache... 

LA  BIQUETTE. 

Écoute  I  II  est  tout  seul,  nous  sommes  deux,  nous  allons 
appeler  notre  maître,  ça  fera  trois  et  l'infortuné  voyageur. 
Alors  nous  serons  quatre  et  nous  en  viendrons  bien  à 
bout. 

NICOLAS. 

C'est  ça  !  Allons-y.  Au  voleur! 

LA  BIQUETTE. 

Au  voleur  !  Au  voleur  ! 

Am:  Garde  à  vous 
NICOLAS  et  LA  BIQUETTE 

Au  voleur  .' 

Au  voleur  ! 
Mettez-vous  à  la  porte 
Empêchez  qu'il  ne  sorte 
Surtout  n'ayez  pas  peur  ! 

Au  voleur  ! 

Au  voleur! 
Armez-vous  d'une  corde 
Et  sans  miséricorde 
Liez  le  malfaiteur  ! 

Au  voleur  ! 

Au  voleur  ! 

Au  voleur  ! 


42  Ombres  chinoises 


SCÈNE  IX 
Les  Mêmes,  LABREDOUILLE. 

LABREDOUILLE. 

Qu'est-ce  qu'il  y  a? 

NICOLAS. 

Ah  I  Notre  maître  !  Un  voleur  dans  votre  chambre  !  Il  ne 
doit  pas  encore  être  parti.  Allons  le  prendre. 

LABREDOUILLE. 

Un  voleur  !  J'en  fais  mon  affaire  !  Je  vais  le  dénicher  ? 
Toi,  Nicolas  reste  là.  S'il  se  sauve,  tombe  dessus  !  (Il  entre 
à  l'auberge.) 


SCÈNE  X 
Les  Mêmes,  moins  LABREDOUILLE. 

NICOLAS. 

Tombe  dessus  I  mais  s'il  me  tombe  dessus,  moi  ? 

LA  BIQUETTE. 

T'es  donc  pas  assez  fort  pour  l'arrêter?  Poule  mouillée  I 

NICOLAS. 

Ah  !  Je  l'arrêterai  bien,  s'il  se  laisse  prendra  ! 

LA  BIQUETTE. 

Eh  bien,  reste-là  I  Moi,  je  vais  avertir  la  gendarmerie. 
(Elle  sort.) 


L'infortuné  voyageur  43 


SCÈNE  XI 
NICOLAS,  LABREDOUILLE,  TROMBOLI. 

NICOLAS. 

Je  n'entends  plus  rien  !  Est-ce  que  notre  maître  ne  l'aurait 
pas  trouvé  ?  Mais  si,  on  descend  l'escalier,  il  est  pris  ! 

LABREDOUILLE,  entrant  avec  Escopetto. 
Allons  !   Allons  !   Je  vous  tiens  !   Ah  I  vous  venez  me 
dépouiller,  je  vais  vous  faire  mettre  en  prison  1 

ESCOPETTO,  criant. 
A  moi  !  A  moi  !  mes  amis  ! 

LABREDOUILLE. 

Ah  I  Vous  êtes  plusieurs  ?  Tiens-moi  celui-là,  Nicolas  !  Je 
vais  dénicher  les  autres.  (Nicolas  s'approche  d' Escopetto.) 

LABREDOUILLE. 

Il  y  en  a  peut-être  dans  la  grange.  (Il  va  dans  la  grange.) 

NICOLAS,  à  Escopetto. 
Et  toi,  ne  bouge  pas,  je  suis  armé  !  (A  part.)  Ce  n'est  pas 
vrai,  mais  ça  lui  fait  peur  ! 

LABREDOUILLE,  sortant  de  la  grange  avec  Tromboli. 
Qu'est-ce  que  je  disais,  en  voici  un  autre  !  Noua  allons  le 
ficeler 


44  Ombres  chinoises 


SCÈNE  XII 

Les  Mêmes,  Le  Voyageur,  vUu  en  gendarme. 

LK  VOYAGEUR. 

C'est  inutile  I 

LABREDOUILLE. 

Un  gendarme  ! 

LE    VOYAGEUR,    à  iSiCOUlS. 

Donnez-moi  votre  prisonnier,  je  m'en  charge.  (Ei^copelto 
change  de  place.)  Et  amenez  ici  la  voiture.  C'est  moi  qui  me 
charge  de  les  conduire  en  prison.  {Nicolas  sort.) 


SCÈNE  XIII 

Le  Voyageur,  LABREDOUILLE,  TROMBOLI,  ESCOPETTO, 
LA  BIQUETTE. 

LABREDOUILLE. 

Te  voilà,  la  Biquette  ?  Où  étais-tu  donc  ? 

LA   BIQUETTE. 

Je  viens  d'avertir  la  gendarmerie.  Tiens  !  Elle  est  déjà  là. 
(Elle  sort.) 

LE  VOYAGEUR,  à  part. 

Il  n'était  que  temps  !  Voici  la  voiture  !  (Il  regarde  à 
gauche.)  Allons,  mes  gaillards  !  C'est  moi  qui  vais  vous 
conduire  en  prison.  Montez,  montez  !  (Le  voyageur,  Trom- 
boli,  et  Escopttto  sortent  à  gauche.)  En  route  Nicolas  ' 
(Grelots  de  la  voiture  qui  s'éloigne.) 


L'infortuné  voyageur  45 


LA  BIQUETTE,  rentrant. 
Monsieur,  je  viens  de  la  chambre  de  l'infortuné  voya- 
geur, il  n'est  plus  là. 

LABREDOUILLE. 

Tant  mieux  I  Ils  l'auraient  peut-être  assassiné  l 


(Rideau,) 


3. 


III 


LA  SOIRÉE  COURTEPINCE 


Courtepince. 
Sophie. 
Amédée. 
Un  Reporter. 
Un  Monsieur. 


Un  salon  moderne. 


DÉCOR 


COSTUME! 


Courtepince,  en  habit  noir. 

Sophie,  toilette  de  soirée, 

Amédée,  en  livrée. 

Le  Reporter  et  le  Monsieur,  en  habit  noir. 


La  Soirée  Courtepince 


PIÈCE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 


M.  COURTEPINCE. 

SOPHIE   COURTEPINCE,  sa  femme. 

AMÉDÉE,  domestique. 

Un  Reporter. 

Un  Monsieur. 


48  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 
COURTEPINCE,  puis  SOPHIE. 

COURTEPINCE. 

Es-tu  prête,  Sophie,  il  est  neuf  iieures,  on  ne  va  pas 
tarder  à  venir. 

SOPHIE,  entrant. 

Oui,  mon  ami,  me  voici  !  Comment  me  trouves-tu?  Suis- 
je  bien  habillée  ? 

COURTEPINCE. 

Tu  dois  être  bien  habillée,  c'est  moi  qui  ai  choisi  ta 
toilette.  Permets  que  j'examine....  Très  bien!  mais  très 
bien  I 

SOPHIE. 

Allons,  tant  mieux!  Du  moment  que  tu  es  satisfait,  je 
suis  heureuse.  Ah  !  puisque  j'y  pense,  et  que  nous  avons 
un  moment,  explique-moi  ce  que  veut  dire  cette  réception 
ouverte  que  nous  donnons  ce  soir.  Qu'est-ce  que  c'est  qu'une 
réception  ouverte? 

COURTEPINCE. 

Au  fait  !  tu  m'y  fais  penser.  Il  est  très  important  que  tu 
sois  au  courant.  Voici  :  —  Tu  sais  d'où  vient  notre  fortune? 
Toute  de  mon  travail.  J'ai  acheté  pour  rien,  pour  un  mor- 
ceau de  pain,  car  l'inventeur  était  très  bas,  le  brevet  des 
cure-dents  à  musique.  Le  besoin  ne  s'en  faisait  pas  abso- 
lument sentir,  mais  j'ai  su  naviguer,  j'ai  lancé  l'affaire, 
j'en  ai  tiré  tout  ce  que  j'ai  pu,  les  résultats  ont  été  assez 
satisfaisants,  pour  que  je  pusse  la  revendre  très  cher  après 
fortune  faite,  et  maintenant  que  je  suis  riche,  je  veux  me 
reposer  et  faire  danser  mes  écus. 


La  soirée  Courtepince  49 

SOPHIE. 

Sans  les  gaspiller. 

COURTEPINCE. 

Sans  les  gaspiller,  je  crois  bien.  Un  ancien  commerçant 
est  toujours  commerçant  ;  ses  prodigalités  sont  de  l'épar- 
gne ;  et  alors,  comme  commerçant,  mon  devoir  est  de  faire 
aller  le  commerce.  Delà,  cette  fête. 

SOPHIE. 

Oui,  je  comprends  !  Mais  ce  n'est  pas  tout  que  de  donner 
une  fête,  il  faut  encore  avoir  des  relations,  et  les  cure-dents 
à  musique  ne  nous  ont  guère  mis  en  rapport  qu'avec  les 
limonadiers  et  les  restaurateurs. 

COURTEPINCE. 

C'est  déjà  quelque  chose. 

SOPHIE. 

Oui,  mais  ce  n'est  pas  suffisant  pour  garnir  un  salon. 

COURTEPINCE. 

Eh  bien,  j'ai  fait  comme  dans  les  ministères;  j'ai  fait 
mettre  dans  le  journal  que  je  donnais  une  réception  ouverte 
et  tout  à  l'heure,  la  foule  va  affluer  dans  nos  salons. 

SOPHIE. 

Espérons-le.  iMais  quedirai-je  à  tous  ces  visiteurs  quand 
ils  se  présenteront  ? 

COURTEPINCE. 

Rien.  Tu  salueras  en  souriant.  J'en  ferai  autant.  On  pas- 
sera au  buffet  et  on  dira  :  —  Ces  Courtepince  sont  char- 
mants, en  voilà  qui  savent  employer  leur  fortune  î  Main- 
tenant, tiens-toi  à  l'entrée  du  grand  salon,  je  vais  te 
retrouver  et  envoie-moi  Amédée,  j'ai  quelques  ordres  à  lui 
donner. 


50  Ombres  chinoises 

SOPHIE. 

J'y  vais  mon  ami.  —  {Elle  sort), 

SCÈNE  II 
COURTEPINCE,  puis  AMÉDÉE. 

COURTEPINCE. 

Cette  réception  ouverte  est  un  trait  de  génie  !  Jusqu'alors 
aucun  particulier  n'avait  osé  imiter  cette  nouvelle  façon 
d'agir  des  hommes  en  place,  on  se  cantonnait  dans  ses 
relations,  c'était  stupide,  rétrograde!  Moi,  j'ai  osé  rompre 
avec  ces  vieilles  coutumes  et  je  suis  certain  que  mon  audace 
aura  des  imitateurs. 

Ah  !  te  voilà,  Amédée. 

AMÉDÉE,  entrant. 

Vous  m'avez  fait  appeler? 

COURTEPINCE. 

Oui.  Il  faudra  chauffer  le  calorifère.  Il  fait  un  froid  de 
loup,  ici. 

AMÉDÉE. 

C'est  sans  doute  parce  que  les  fenêtres  sont  ouvertes. 

COURTEPINCE. 

Comment  !  Ouvertes  I  Pourquoi  ouvertes? 

AMÉDÉE. 

Dame?  Vous  m'avez  dit  que  la  Réception  devait  ôtre 
ouverte,  j'ai  ouvert  les  fenêtres. 

COURTEPINCE. 

Imbécile  !  Tu  vas  me  fermer  ça  tout  de  suite,  Et  le 
buffet? 


La  soirée  Courteplnce  51 

AMÉDÉE. 

Est  bien  garni.  Les  maltres-d'hôtel  sont  à  leur  poste. 

COURTKPINCE. 

Il  n'est  venu  personne  encore  ? 

AMÉDÉE. 

Si,  il  y  a  beaucoup  de  cochers  à  la  cuisine,  qui  commen- 
cent à  manger. 

COURTEPINCE 

Mais  leurs  maîtres?  Ma  femme  les  reçoit? 

AMÉDÉE. 

Non,  monsieur.  Ils  n'avaient  pas  de  maîtres.  Ce  sont  les 
cochers  de  la  station  d'en  face,  je  les  ai  fait  entrer.  Vous 
m'avez  dit  de  faire  entrer  tout  le  monde. 

COURTEPINCE. 

Imbécile  !  Je  vais  aller  mettre  ordre  à  cela.  Ferme  les 
fenêtres  et  tiens  toi  à  ma  disposition.  (Il  sort.) 

SCÈNE  III 
AMÉDÉE,  puis  COURTEPINCE. 

AMÉDÉE. 

Singulière  idée  qu'a  eue  mon  maître.  Mais  ça  ne  me 
regarde  pas  !  —  Avec  tout  ça,  personne  ne  vient  !  Ah  bien, 
si  toutes  les  provisions  que  nous  avons  achetées  nous 
restent  sur  le  dos,  nous  en  avons  pour  quinze  jours  à  man- 
ger des  gâteaux  à  la  cuisine. 

COURTEPINCE,  entrant  vivement. 

Amédée  1  Amédée  ! 

AMÉDÉE. 

J«  suis  là,  Monsieur. 


52  Ombres  chinoises 

COURTEPINCE. 

Vite  !  Vite!  Passe  des  gâteaux  et  du  punch  ! 

AMÉDÉE. 

A  qui  ?  On  n'est  pas  encore  arrivé. 

COURTEPINCE. 

Ça  ne  fait  rien  I  Offre  aux  musiciens,  ça  leur  donnera  du 
courage. 

AMÉDÉE. 

C'est  une  bonne  idée. 

COURTEPINCE. 

Je  ne  demande  pas  ton  avis.  Va  donc  ! 

AMÉDÉE. 

Oui,  Monsieur.  (Il  sort.) 

SCÈNE  IV 
COURTEPINCE,  puis  LE  REPORTER. 

COURTEPINCE. 

On  vient  si  tard  maintenant  dans  le  monde  I  Et  puis  je 
sais  qu'il  y  a  ce  soir  deux  bals  au  faubourg  Saint-Germain, 
un  concert  chez  la  baronne  Vatfer-Lanlaire  et  la  Comédie 
aux  Mirlitons,  tout  le  monde  viendra  à  la  fois.  —  Ah  ! 
voici  quelqu'un.  11  n'y  a  que  le  premier  invité  qui  coûte  ! 

LE  REPORTER. 

Monsieur  I...  Monsieur  Courtepince,  .sans  doute  ? 

COURTEPINCE. 

Moi-môme  I  A  qui  ai-je  l'honneur  de  parler  ? 


La  soirée  Courtepince  53 

Air  :  Final  des  Lanciers. 
LE  REPORTER. 

J'suis  le  reporter 
Du  grand  journal  L'Informateur. 

L'approbateur 

Supérieur 
Des  pièces  de  tous  les  auteurs. 

J'connaîs  les  acteurs, 

Les  amateurs, 

Les  régisseurs, 

Les  inspecteurs, 

Les  directeurs 

Et  les  !iOuffleurs  ! 

COURTEPINCE. 

Parlez,  Monsieur,  je  vous  écoute. 

LE    REPORTER. 

Je  sollicite  de  vous  la  faveur  d'une  interview.  {Interviou. 

COURTEPINCE. 

Une  interview? 

LE   REPORTER. 

Oui  !  Je  désirerais  vous  interviewer. 

COURTEPINCE,  s'incUnt  sans  comprendre,  à  part. 
Que  va-t-il  me  faire  ? 

LE   REPORTER. 

Vous  donnez  une  réception  ouverte,  Monsieur,  c'est  une 
innovation,  aurez-vous  beaucoup  de  monde  ? 

COURTEPINCE. 

Mes  salons  seront  pleins,  mais  on  vient  si  tard. 

LE    REPORTER. 

Aurez-vous  quelques  personnages  célèbres  que  je  puisse 
citer  ? 


54  Ombres  chinoises 

COURTEPINCK. 

Je  les  aurai  tous,  s'ils  vienneût. 

LE   REPORTER. 

Très  bien  !  Maintenant  permettez  !  Quel  âge  avez-vous  ? 

COURTEPINCE. 

Mais,  Monsieur...  Enfin,  je  touche  à  la  cinquantaine. 

LE   REPORTER. 

Parfait  !  Vous  avez  été  vacciné  ? 

COURTEPINCE,  à  part. 
Ah  ça!  est-ce  qu'il  me  croit  enragé?  (Haut.)  Oui,  Mon- 
sieur, mais  pas  par  M.  Pasteur. 

LE   REPORTER. 

Je  vous  remercie. 

COURTEPINCE. 

Pardon,  Monsieur,  mais  je  ne  m'explique  pas  bien  le  but 
de  ces  questions  qui  touchent  à  la  vie  privée. 

LE   REPORTER. 

C'est  pour  mon  journal,  Monsieur,  le  mieux  informé  de 
Paris  et  qui  prend  toujours  ses  renseignements  à  la  source 
même. 

COURTEPINCE. 

Ahl  très  bien!  Alors  vous  pouvez  ajouter  que  des  artistes 
de  talent  vont  se  faire  entendre.  Je  vous  en  prie,  ne  partez 
pas.  Permettez-moi  de  vous  placer  moi-môme,  Monsieur, 
venez  avec  moi.  (Ils  sortent.  Musique  dans  la  coulisse.) 

SCÈNE  V 

COURTEPINCE,  dans  la  coulisse. 
Charmant  !  Charmant  !  Bravo  !  Tout  le  monde  est  satii- 


La  soirée  Courtepince  55 

fait!  Bravo!  Bravo!  (Entrant.)  Dix  heures  et  demie  et 
personne  encore  !  J'ai  placé  le  reporter  au  buffet.  Il  mange, 
il  adore  le  Champagne.  Il  me  fera  un  article  soigné  !  Mais, 
sapristi  !  on  tarde  bien  à  venir  !  Enfin,  je  vais  toujours 
faire  continuer  le  concert.  (Il  s'approche  de  la  coulisse  et 
parle  aux  musiciens.)  Allons,  Messieurs,  enchaînons  ! 
enchaînons  !  (Il  sort.  Musique  dans  la  coulisse.) 


SCÈNE  VI 
COURTEPINCE,  daïis  la  coulisse. 

Charmant  I  Charmant  !  Délicieux  !  (Rentrant  en  scène.) 
Et  personne,  personne  n'est  venu  que  le  reporter  !  Mainte- 
nant il  ne  veut  plus  s'en  aller  !  —  Onze  heures  et  demie  ! 
C'est  bien  tard  pour  venir  en  soirée  ;  c'est  l'heure  où  partout 
l'on  en  sort.  Si  j'avais  du  monde,  je  ferais  danser.  Au  fait, 
je  vais  faire  jouer  l'orchestre.  (A  la  coulisse.)  Monsieur  î 
Monsieur  le  chef  d'orchestre,  une  valse  !  Oui,  une  valse  ! 
(Valse  en  sourdine.)  Eh!  Parbleu!  J'ai  laissé  ma  pauvre 
femme  debout  à  l'entrée  du  grand  salon,  attendant  toujours 
des  visiteurs,  elle  ne  sera  pas  fâchée  de  faire  un  tour  de 
valse  avec  moi.  Qui  sait  ?  En  voyant  nos  ombres  tourbil- 
lonner derrière  les  rideaux,  ça  donnera  peut-être  envie  de 
monter.  (Appelant.)  Sophie  !  Sophie! 


SCÈNE  VII 
COURTEPINCE,  SOPHIE. 

SOPHIE. 

Tu  m'a»  appelée,  mon  ami? 


56  Ombres  chinoises 


COURTEPINCE. 

Oui  I  Un  tour  de  valse,  veux-tu  ?  Comme  autrefois. 

SOPHIE. 

Je  veux  bien  I  {lU  valsent,) 

COURTEPINCE. 

Tu  es  toujours  aussi  légère. 

SOPHIE. 

Tu  trouves  ? 

COURTEPINCE. 

Oui,  tiens,  regarde  dans  la  glace,  on  nous  donnerait  vingt 
ans. 

SOPHIE. 

De  moins  I  Quel  dommage  que  notre  fête  soit  manquée  ? 

COURTEPINCE. 

Nous  en  donnerons  une  autre  et  je  te  réponds  qu'elle 
réussira. 

SOPHIE. 

Tu  crois? 

COURTEPINCE. 

J'en  suis  sûr!   Ouf!   Respirons  un   peu,  veux-tu?  {La 
valse  cesse,) 

SOPHIE. 

Ah  !  Tu  n'as  plus  tes  bonnes  jambes  d'autrefois  ! 

COURTEPINCE. 

Si  !  Mais  j'ai  trop  de  ventre,  je  suis  tout  de  suite  essoufflé. 

SOPHIE. 

11  va  falloir  renvoyer  tous  ces  musiciens. 

COURTEPINCE. 

Pas  encore.  Je  les  ai  payés,  il  faut  que  je  les  use. 


La  soirée  Coartepince  57 

SOPHIE. 

C'est  juste  ! 

CGURTEPINCE. 

Tiens  I  Je  vais  leur  demander  une  polka. 

SOPHIE. 

Une  polka,  je  veux  bien. 

couRTEPiNCE,  à  la  couUsse. 
Monsieur  le  chef  d'orchestre,  une  polka,  je  vous  prie.  (On 
joue  une  polka.)  Dansons  !  Dis? 

SOPHIE. 

Tu  vas  te  fatiguer. 

COURTEPINCE. 

Non  I  Non  !  (Ils  polkent.)  Je  leur  demanderais  bien  la 
matchiche,  mais  je  ne  sais  pas  la  danser. 

SOPHIE. 

Ni  moi  non  plus  !  Eh  bien,  restons  en  là. 

COURTEPINCE. 

A  ton  tour,  tu  es  fatiguée. 

SOPHIE. 

Oui,  je  ne  serais  pas  fâchée  de  me  reposer. 

COURTEPINCE. 

Du  reste,  il  ne  viendra  plus  personne  maintenant,  la  fête 
est  terminée.  Je  vais  renvoyer  les  artistes.  (^4  la  coulisse.) 
Messieurs,  je  vous  remercie,  vous  pouvez  vous  retirer. 

SOPHIE. 

Si  tu  le  permets,  je  vais  en  faire  autant. 

COURTEPINCE. 

Va  donc,  ma  chère  amie,  tu  dois  avoir  besoin  de  repos  et 
envoie  moi  Âmédée  pour  que  je  lui  donne  mes  ordres. 
(Sophie  sort.) 


58  Ombres  chinoises 


SGÈNE  IX 
COURTEPINCE,  AMÉDEE. 

AMEDÉE. 

Monsieur  a  besoin  de  moi  ? 

COURTEPINCE. 

Oui.  Tout  le  monde  doit  être  parti  ? 

AMÉDÉE. 

C'est-à-dire  qu'on  n'est  pas  encore  venu. 

COURTEPINCE. 

Je  ne  te  parle  pas  de  ça.  Tu  vas  éteindre  toutes  les  bougies 
et  fermer  les  portes.  La  fête  est  terminée. 

AMÉDÉE. 

Bien,  Monsieur. 

COURTEPINCE. 

Tu  souperas  si  tu  veux,  avant  de  te  coucher. 

AMÉDÉE. 

Oh  î  Monsieur,  il  y  a  de  quoi. 

COURTEPINCE. 

C'est  bon  !  Fais  se  que  je  t'ai  dit.  Voyons  1  II  ne  faut  pas 
que  j'oublie  mon  reporter.  S'il  a  continué  à  boire  du  Cham- 
pagne, comme  il  a  commencé,  il  doit  être  sous  la  table. 
Mais  quel   article  j'aurai  demain  dans  son  journal  !   (Il 

sort.) 


SGÈNE  X 

AMÉDÉE. 

Voilà  ce  qu'on  appelle  une  réception  ouverte!   Je   nt 


La  soirée  Courtepince  59 

m'étais  pas  imaginé  cela  ;  c'est  cocasse  tout  de  même  !  Une 
soirée  où  il  n'y  a  personne.  On  ne  sait  plus  qu'inventer 
maintenant  pour  dépenser  son  argent  !  Je  l'avais  bien  dit  : 
nous  allons  nous  nourrir  de  gâteaux  pendant  quinze  jours. 


SCÈNE  XI 
AMÉDÉE,  LE  REPORTER. 

LE    REPORTER. 

Mon  ami,  mon  ami,  où  donc  est  M.  Courtepince? 

AMÉDÉE. 

Il  vient  de  se  coucher,  la  fête  est  terminée. 

LE    REPORTER. 

Vraiment  ?  Déjà  I  Elle  a  été  charmante  I  Les  petits  fours, 
charmants  !  Et  le  Champagne  délicieux  !  Dites  bien  à 
M.  Courtepince  que  je  lui  ferai  un  article  aussi  soigné  que 
sa  soirée.  Allons  !  par  où  s'en  va-ton?...  Par  là?...  Bonsoir 
mon  garçon  !  (Il  sort.) 

AMÉDÉE. 

Bonjour  Monsieur. 

(Rideau.) 


IV 


LES  TROIS  SOUHAITS 


Claudine. 

La  fée  Marraine. 

Nicolas. 

Léandre. 

Le  Docteur. 

DÉCOR 

Un  jardin  avec  pavillon  à  droite. 

COSTUMES 

Claudine,  Jeune  fermière, 

La  Fée  Marraine,  Costume  de  Fée. 

Nicolas,  Jeune  paysan. 

Germaine,  Vieille  domestique, 

Lafleur,  Valet  de  chambre. 

Boniface,  Cocher. 

Claudine,  Jeune  fille. 

Le  Tuteur,  Vieux  professeur. 

Léandre,  Jeune  homme  élégant. 


Les  trois  souhaits. 

COMEDIE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 


CLAUDINE. 

La  Fée  Marraine. 

NICOLAS. 

LÉANDRE. 

Le  Docteur. 


62  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 

CLAUDINE. 

Les  poules,  les  chiens,  les  chevaux,  les  vaches  et  aussi  les 
cochons,  sauf  votre  respect,  voilà  tout  le  inonde  servi... 
excepté  moi,  comme  d'ordinaire  î  Ça  n'est  pas  une  exis- 
tence, ça  !  Manger  après  tous  les  autres,  travailler  plus  que 
tous  les  autres  et  ne  se  reposer  jamais.  Ça  n'est  pas 
possible  que  ça  continue  comme  ça,  j'y  laisserai  ma  peau  ! 
Si  ce  n'était  ma  marraine  qui  m'a  placée  ici,  il  y  a  long- 
temps que  je  m'aurais  ensauvée  à  la  maison,  mais  ma 
marraine  est  une  fée  et  je  ne  peux  pas  aller  à  rencontre  de 
sa  volonté.  C'est  égal,  la  première  fois  que  je  la  verrai,  je 
lui  demanderai  de  changer  de  condition.  J'aurai  peut-être 
bien  moins  de  travail  ailleurs  et  puis  je  serai  débarrassée 
de  Nicolas,  le  garçon  de  ferme,  qui  est  laid  comme  un  héris- 
son et  est  toujours  à  me  dire  des  bêtises;  j'aime  pas  ça, 
moi  !  là  I  Tiens,  le  v'ià  encore  !  J'te  vais  le  renvoyer  un  peu 
à  son  ouvrage? 

SCÈNE  II 
CLAUDINE,  NICOLAS. 

NICOLAS. 

Vous  v'ià,  Mam'selle  Claudine. 

CLAUDiNK. 

Vous  l'voyez  ben  que  me  v'ià  1  Quéque  vous  m'voulez  ? 

NICOLAS. 

Oh  !  ben  I  c'est  sûr  que  je  n'vous  veux  pas  de  mal. 


Les  trois  souhaits  63 

CLAUDINE. 

Il  n' manquerait  plus  que  ça. 

NICOLAS. 

C'est  bien  tout  l'contraire,  Mamselle  Claudine,  vous 
l'savez  ben.  J'voudrais  plutôt  vous  mettre  dans  une  boîte 
pleine  de  coton,  comme  une  petite  bête  à  bon  Dieu. 

CLAUDINE. 

V'ià  qu'vous  m'prenez  pour  une  bote  maintenant. 

NICOLAS. 

Non  !  La  bête  c'est  moi  qui  ne  sais  pas  vous  parler 
comme  il  faut. 

CLAUDINE. 

Vous  n'avez  pas  besoin  de  me  parler,  vous  n'avez  rien  à 
me  dire. 

NICOLAS. 

Oh  !  qu'si  !  Oh,  qu'si  ! 

CLAUDINE. 

Eh  ben,  dites-vite,  j'ai  à  travailler! 

NICOLAS. 

Mais  voilà,  vous  ne  m'encouragez  pas,  et  moi,  j'ose  pas. 

CLAUDINE. 

Eh  ben,  si  vous  n'osez  pas,  ne  dites  rien,  et  laissez-moi 
tranquille. 

NICOLAS. 

C'est  toujours  ça  que  vous  me  dites  et  ça  me  rend  tout 
bête. 

CLAUDINE. 

Restez  comme  vous  êtes.  Vous  êtes  bien  comme  ça. 

NICOLAS. 

Ah  1  Claudine  !  Si  vous  saviez... 


64  Ombres  chinoises 

CLAUDINE. 

Je  sais  peut-être  bien,  Nicolas,  mais  je  n'veux  pas  com- 
prendre... Allons!  Allons  !  allez  faire  votre  ouvrage. 

NICOLAS. 

Oui,  Claudine  !  Mon  ouvrage  maintenant  c'est  de  me 
péri. 

CLAUDINE. 

Eh  non  !  mon  ami,  c'est  d'être  pas  si  bête. 

NICOLAS. 

J'm'en  y  vas,  Claudine,  mais  j'ai  bien  du  chagrin.  (// 
sort.) 

SCÈNE  m 

CLAUDINE. 

Imbécile!  Son  chagrin,  il  n'est  pas  difficile  à  deviner.  Un 
gros  bêta  qui  vient  soupirer  autour  de  vous,  on  sait  tout  de 
suite  ce  qu'il  demande,  mais  on  ne  veut  point  comprendre. 
Je  sais  bien  qu'un  jour  je  prendrai  un  mari,  mais  ça  ne 
sera  point  un  lourdaud  comme  celui-là.  D'ailleurs  j'ai 
d'autres  idées  dans  la  tête.  Allons,  en  attendant,  à  la 
besogne  !  Tiens  !  ma  marraine  ! 

SCÈNE  IV 
CLAUDINE,  La  Fée  Marraine. 

CLAUDINE. 

Bonjour,  ma  marraine. 

LA  fée. 

Bonjour  Claudine.  Je  viens  te  voir  en  passant.  Es-tu 
heureuse  ? 


Les  trois  souhaits  65 

CLAUDINE. 

Pas  tout  à  fait,  marraine. 

LA  FÉE. 

Ah  !  ah  î  Qu'y  a-t-il  donc? 

CLAUDINE. 

Il  y  a  que  je  m'attendais  bien  à  travailler,  mais  pas  à 
obéir  ! 

LA  FÉE. 

Tu  savais  pourtant  qu'ici  tu  n'étais  qu'une  servante. 

CLAUDINE. 

C'est  vrai,  mais  je  ne  savais  pas  ce  qu'était  une  servante. 
Je  savais  ce  que  je  devais  faire,  mais  on  ne  me  commandait 
pas  de  le  faire.  Obéir  toujours  est  humiliant. 

LA  FÉE. 

Ma  petite,  dans  la  vie,  on  obéit  toujours  les  uns  aux 
autres.  Le  Roi,  qui  commande  à  son  peuple  est  souvent 
obligé  de  lui  obéir;  le  magistrat  obéit  à  la  loi.  Nul  n'est 
indépendant  :  Mais  puisque  tu  n'es  pas  satisfaite  de  ton 
sort,  je  veux  bien  faire  quelque  chose  pour  toi.  Je  t'auto- 
rise à  former  trois  souhaits,  ils  seront  exaucés.  Réfléchis 
bien,  ne  te  prononce  pas  à  l'aventure,  car  tu  ne  pourras 
pas  formuler  un  quatrième  vœu.  Et  pour  que  tu  n'aies  rien 
à  me  reprocher,  je  ne  veux  pas  même  te  conseiller,  car 
probablement  tu  ne  m'écouterais  pas.  Quand  tu  seras 
décidée,  tu  entreras  dans  le  petit  pavillon  que  voici,  et  là, 
tu  m'appelleras.  Je  viendrai  aussitôt  opérer  ta  métamor- 
phose. Adieu  ma  petite  Claudine.  Réfléchis  bien.  {Elle 
sort.) 


66  Ombres  chinoises 


SCÈNE  V 

CLAUDINE. 

Ainsi  me  voici  libre  de  mon  sort  !  Qu'est-ce  que  je  veux  ? 
Je  ne  veux  plus  être  servante,  c'est  entendu  !  Cependant 
ma  maîtresse  était  bien  bonne,  mais  ça  lui  était  facile,  elle 
faisait  ce  qui  lui  plaisait,  elle  commandait  et  on  lui  obéis- 
sait. Il  est  vrai  qu'elle  n'était  plus  jeune,  mais  qu'importe  ! 
Il  est  vrai  qu'elle  avait  des  douleurs  par  tout  le  corps,  mais 
elle  savait  les  soigner.  Elle  avait  de  l'argent  pour  tous  ses 
caprices,  aussi  les  gens  du  village  l'appelaient  la  bonne 
damC;  ce  qui  est  très  flatteur.  On  lui  faisait  des  cadeaux, 
on  venait  la  visiter,  elle  était  très  considérée.  Ma  foi,  tant 
pis  !  Je  voudrais  bien  être  à  sa  place.  Je  vais  demander 
cette  faveur  à  ma  marraine.  (Elle  entre  dans  le  pavillon.) 

SCÈNE  VI 

CLAUDINE,  sortant  du  pavillon  en  vieille.  Coup  de  tamtam. 
Hem  !   Hem  I   Atchich  !  Ah  !   ce  vilain  rhume  ne  finira 
donc  pas  !  Atchich  !  Gela  me  déchire  la  poitrine  I  (Appelant.) 
Germaine  I  Germaine  ! 

SCÈNE  VII 
CLAUDINE,  GERMAINE. 

GERMAINE. 

Me  v'ià  1  Madame,  qu'est-ce  que  vous  voulez  ? 

CLAUDINE. 

Je  veux  d'abord  que  vous  soyiez  polie  et  que  vous  me 
parliez  à  la  troisième  personne. 


Les  trois  souhaits  67 


GERMAINE. 

La  troisième  personne,  où  qu'elle  est? 

CLAUDINE. 

C'est  bon  !  Nous  nous  expliquerons  là-dessus  !  Allez-moi 
chercher  ma  boîte  de  dragées  ! 

GERMAINE. 

Faudrait  savoir  où  vous  l'avez  mise  ? 

CLAUDINE. 

Mais  dites  donc,    Germaine,    veuillez    me   parler    plus 
respectueusement. 

GERMAINE. 

J'vous   parle  français  je  pense  1   Où  qu'aile   est  votre 
boîte  ? 

CLAUDINE. 

Dans  ma  chambre.  Et  puis  ne  répliquez  pas  ou  vous  ne 
ferez  pas  long  feu  ici. 

GERMAINE. 

D'abord,  Madame,  j'suis  pas  ici  pour  les  commissions. 
J'suis  pour  la  cuisine. 

CLAUDINE. 

C'est  bon  î  Ne  répliquez  pas  et  faites  ce  que  je  vous  dis. 
GERMAINE,  à  part. 

Quelle  baraque  !   Tu  vas  voir  comme  je  vais  saler  ton 
bouillon!  {Elle  sort.) 

SCÈNE  VIII 
CLAUDINE  puis  LAFLEUR. 

CLAUDINE. 

Quelle  insolente  !  Ces  domestiques   on  n'en  peut  rien 


08  Ombres  chinoises 

faire  !  En  voilà  une  que  je  vais  congédier  promptement. 
Mon  valet  de  chambre  sera  sans  doute  plus  poli.  {Appe- 
lant.) Lafleur  !  Lafleur  !  (Lafleur  entre.) 

CLAUDINE. 

Dites-moi,  Lafleur,  c'est  bien  vous  qui  faisiez  ma  chambre 
ce  matin  ? 

LAFLEUR. 

C'est  toujours  moi  qui  fais  la  chambre  de  Madame. 

CLAUDINE. 

Dites-moi  alors  que  signifiait  ce  bruit  de  porcelaines 
cassées  que  j'ai  entendu  tout-à-l'heure? 

LAFLEUR. 

C'est  le  service  de  toilette  de  Madame  qui  est  tombé  à 
terre. 

CLAUDINE. 

Il  n'est  pas  tombé  tout  seul,  j'imagine? 

LAFLEUR. 

Mais  si,  Madame,  il  m'a  échappé  des  mains. 

CLAUDINE. 

Ce  qui  veut  dire  que  vous  avez  été  maladroit. 

LAFLEUR. 

Non  pas,  Madame,  je  ne  savais  pas  qu'il  était  plein  d'eau, 
alors,  comme  il  était  plus  lourd  que  je  ne  pensais,  il  est 
tombé  à  terre  et  s'est  cassé  en  mille  morceaux. 

CLAUDINE. 

C'est  un  objet  de  prix,  il  faudra  me  le  remplacer. 

LAFLEUR. 

Que  Madame  m'excuse,  mais  je  gagne  trop  peu  chez  elle 
pour  lui  renouveler  sa  vaisselle 


Les  trois  souhaits  69 

CLAUDINE. 

Platt-il? 

LAFLEUR. 

Quand  on  ne  touche  à  rien,  on  ne  casse  rien. 

CLAUDINE. 

Vous  êtes  impertinent,  je  crois  ! 

LAFLEUR. 

Madame  ne  voudrait  pas  me  faire  payer  un  objet,  qui 
d'ailleurs  n'était  plus  neuf.  La  casse  n'est  pas  au  compte 
des  domestiques.  Du  reste,  je  ne  veux  pas  discuter  avec 
Madame,  j'aurais  toujours  tort.  Je  ne  payerai  pas  le  vase. 

CLAUDINE. 

Vous  êtes  un  drôle  !  Allez,  je  vous  chasse  ! 

LAFLEUR. 

Je  compte  bien  que  vous  me  payerez  auparavant. 

CLAUDINE. 

Insolent!  Allez-vous-en.  (Lafleur  sort,)  A-t-on  vu?  Ces 
domestiques  qui  se  rebiffent  !  On  ne  peut  plus  se  faire  servir 
maintenant!  Mais  voici  Boniface,  mon  cocher,  sera-t-il 
aussi  insolent  que  les  autres,  celui-là  ! 

SCÈNE  IX 
CLAUDINE,  BONIFACE. 

CLAUDINE. 

Te  voici,  Boniface?  Apprête  la  voiture,  je  veux  sortir 
tout-à-l'heure. 

BONIFACE. 

Ce  n'est  pas  possible,  Madame.  Les  chevaux  ne  sont  pas 
en  état. 


70  Ombres  chinoises 


CLAUDINE. 

Comment  cela  ? 

BONIFACE. 

La  jument  s'est  couronnée,  son  genou  est  à  vif  et  l'autre 
a  des  coliques. 

CLAUDINE. 

Tu  ne  m'avais  pas  dit  cela. 

BONIFACE. 

J'vous  le  dis  maintenant.  Et  puis,  moi,  j'ai  la  fièvre. 

CLAUDINE. 

Ah  ça,  toute  l'écurie  est  donc  malade  ! 

BONIFACE. 

Faites  excuses,  Madame,  je  ne  fais  pas  partie  de  l'écurie. 

CLAUDINE. 

Tu  es  bien  susceptible,  mais  tu  soignes  bien  mal  tes 
chevaux. 

BONIFACE. 

Je  les  soigne  comme  je, peux.  J'voudrais  bien  vous  voir 
à  ma  place  ? 

CLAUDINE. 

Tu  es  insolent  maintenant.  Eh  bien,  mon  garçon,  je  me 
priverai  de  tes  services. 

BONIFACE. 

Comme  vous  voudrez,  aussi  bien  j'en  ai  assez  de  votre 
maison.  J'vous  rends  votre  voiture,  vos  chevaux,  votre 
paille,  votre  avoine  et  je  vais  m'en  retourner  chez  moi. 
Bonjour  !  {Il  sort.) 


Les  trois  souhaits  71 


SCÈNE  X 

CI.AUDINE. 

A-t-on  vu  un  aussi  grossier  personnage  !  Avec  tout  cela 
me  voilà  sans  domestiques,  car  je  ne  puis  plus  les  garder; 
quand  je  les  commande,  ils  ne  m'obéissent  pas,  quand  je 
les  gronde,  ils  s'en  moquent.  Je  n'ai  pas  la  moindre  autorité 
sur  eux,  je  suis  trop  vieille  pour  qu'ils  m'écoutent.  Ah!  j'ai 
été  trop  étourdie.  J'aurais  dû  plutôt  choisir  le  sort  de  ma 
i  eune  maîtresse,  à  qui  on  laisse  faire  ce  qu'elle  veut.  Elle 
n'a  pas  à  commander,  c'est  vrai,  mais  elle  n'a  pas  non  plus 
à  obéir.  Cependant  elle  a  un  vieux  tuteur  qui  la  dirige, 
mais  elle  en  fait  ce  qu'elle  veut.  Allons  I  essayons  de  cette 
nouvelle  métamorphose.  (Elle  entre  dans  le  pavillon.) 


SCENE  XI 

CLAUDINE  en  neune  fille,  LE  TUTEUR, 
(sortant  du  pavillon.) 

LE   TUTEUR. 

Allons,  allons!  Mademoiselle,  ne  sortez  pas,  le  temps  est 
à  l'orage,  vous  allez  vous  mouiller,  il  pleut  déjà. 

CLAUDINE. 

Eh  non  !  Il  ne  pleut  pas  ! 

LE    TUTEUR. 

Voyons,  Mademoiselle,  qu'avez-vous  ?  Vous  avez   l'air 
agacée. 

CLAUDINE. 

J'ai  que  je  suis  assez  grande  pour  aller  et  venir  à  ma 
guise.  Je  ne  suis  plus  une  petite  fille  et  vos  attentions  con- 


72  Ombres  chinoises 

tinuelles,  me  sont  désagréables.  Vous  êtes  mon  tuteur,  c'est 
convenu,  mais  vous  avez  plutôt  l'air  de  mon  geôlier. 

LE  TUTEUR. 

Allons!  Je  vais  vous  laisser  seule,  vous  ne  vous  plaindrez 
plus.  (Il  sort.) 

SCÈNE  XII 
CLAUDINE,  puis  LÉANDRE. 

CLAUDINE. 

Que  fait-il  donc,  mon  cousin  Léandre?  il  sait  pourtant  bien 
que  c'est  l'heure  où  je  me  promène  seule  dans  le  jardin. 

LÉANDRE. 

Bon  !  Voilà  ma  cousine,  elle  est  toujours  sur  mes  pas, 
cette  petite  fille. 

CLAUDINE. 

Bonjour  cousin!  Savez-vous  que  je  ne  suis  pas  contente 
que  ce  soit  moi  qui  vous  dise  bonjour  la  première. 

LÉANDRE. 

Je  n'en  suis  pas  moins  votre  serviteur  ;  excusez-moi,  j'ai 
tant  de  pensées  dans  la  tête. 

CLAUDINE. 

La  première  devrait  être  pour  moi. 

LÉANDRE. 

Je  pense  aussi  à  vous,  mais  d'abord  à  ma  fiancée. 

CLAUDINE. 

Vous  allez  vous  marier  et  je  n'en  savais  rien. 

LÉANDRE. 

Il  était  inutile   d'informer  toute   la  terre,  que  j'allais 


Les  trois  souhaits  73 

épouser  Mademoiselle  de  La  Tour  Prends-Garde,  la  riche 
héritière  des  barons  de  Grossac. 

CLAUDINE. 

Et  c'est  à  moi  que  vous  dites  cela  ?  Quand  je  croyais, 
j'espérais 

LÉANDRE. 

Vous  espériez  quoi  ?  Je  ne  vous  ai  jamais  fait  rien  es- 
pérer, et  puis,  vous  êtes  encore  une  petite  fille;  à  quinze  ans 
c'est  à  peine  si  on  a  quitté  sa  poupée. 

CLAUDINE,  piquée. 
C'est  vrai  I  Eh  bien,  cousin,  allez  rejoindre  votre  belle. 
Je  vais  rejoindre  ma  poupée,  adieu  ! 

{Léandre  sort.) 


SCÈNE  XIII 
CLAUDINE,  puis  LE  TUTEUR. 

CLAUDINE. 

Eh  bien  oui,  voilà  1  J'ai  été  encore  trop  pressée.  Je  suis 
trop  jeune  pour  songer  à  prendre  un  mari  et  trop  pauvre 
pour  en  trouver  un...  Allons,  j'aurais  dû  garder  ma  pre- 
mière position. 

LE  TUTEUR,  entrant. 

Eh  bien,  maintenant,  êtes-vous  plus  calme,  voulez-vous 
faire  une  petite  promenade.  Je  vous  offre  mon  bras. 

CLAUDINE. 

Je  vous  remercie,  je  vais  rentrer. 

LE   TUTEUR. 

Ah  !  Vous  avez  changé  d'avis. 

5 


74  Ombres  chinoises 

CLAUDINE. 

J'en  change    quelquefois,   mais  cette  fois-ci,    je   vous 
réponds  que  je  ne  changerai  plus. 

LE    TUTEUR. 

Je  vous  laisse  alors.  (Il  rentre  à  la  maison.) 

CLAUDINE. 

Allons  !  mes  épreuves  sont  terminées,  adieu  mes  rêves  I 
(Elle  rentre  dans  le  pavillon.) 


SCÈNE  XIV 

CLAUDINE,  sortant  du  pavillon  dans  le  costume  de  la 
première  scène,  —  puis  LA  FÉE  et  NICOLAS. 

AiB  :  La  bonne  aventure,  à  gué. 

Maintenant  j'ai  retrouvé 

Çlonde  chevelure 

Œil  brillant,  nez  retroussé 

Et  belle  figure 

Je  ne  voudrais  plus  changer 

J'en  cpnpais  trop  le  danger 

La  bonne  aventure 

Ogué 
La  bonne  aventure  ! 

CLAUDINE. 

Me  voilà  redevenue  Claudine,  la  petite  servante,  et  je 
n'en  suis  pas  fâchée,  au  moins  maiiQtenant,  je  suis  à  ma 
place.  (La  fée  se  montre.)  Ah!  marraine,  vous  m'avez  donné 
une  leçon,  j'en  profiterai. 

LA    PÉB. 

Je  l'espère,  Claudine.  Vois-tu,  il  ne  faut  jamais  se  plaindre 
de  son  sort,  ni  regarder  au-dessus  de  soi. 


Les  trois  souhaits  75 

NICOLAS,  entrant. 
Ah  I    c'est  vous,   Mamselle   Claudine.    J'vous    croyais 
perdue. 

CLAUDINE. 

J'étais  perdue  en  effet,  mais  pas  pour  longtemps.  Allons, 
dis-moi  ce  que  tu  avais  à  me  dire. 

NICOLAS. 

Dame,  Claudine,  c'est  toujours  la  même  chose.  J'ose  pas, 
faudrait  m'encourager. 

CLAUDINE. 

Eh  ben,  Nicolas,  n'aie  plus  de  chagrin.  Dans  deux  ans, 
tu  me  parleras  tant  que  tu  voudras. 

LA   FÉE. 

Et  tu  l'épouseras  par-dessus  le  marché. 


(Rideau) 


LA  CASSETTE  DU  DOCTEUR 


Colombine. 

Pierrot. 

Le  Docteur. 

Arlequin. 

Scapin. 

Le  Gendarme. 

DÉCOR 

Une  falaise  au  bord  de  la  mer.  —  Rocher  à  droite. 

A  la  Scène  XI,  la  cassette  apportée  par  Colombine  est 
fixée  dans  ses  bras  par  une  épingle  recourbée  qui  s'enlève 
dans  la  coulisse  à  la  Scène  XII. 

COSTUMES 

Colombine,  Soubrette  Louis  XV. 

Pierrot,  Costume  légendaire  de  la  Comédie  Italienne. 

Le  Docteur,  id. 

Arlequin,  id. 

Scapin,  id. 

Un  Gendarme,  Costume  moderne. 


La  Cassette  du  Docteur 

ARLEQUINADE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 

COLOMBINE. 

PIERROT. 

Le  Docteur. 

ARLEQUIN. 

SGAPIN. 

Le  Gendarme, 


78  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 
PIERROT,  COLOMBINE. 

PIERROT. 

Je  te  dis  que  non. 

COLOMBINE. 

Je  te  dis  que  si  ! 

PIERROT. 

Jamais  tu  ne  me  feras  commettre  une  mauvaise  action, 

COLOMBINE. 

Mais  ce  n'est  pas  une  mauvaise  action. 

PIERROT. 

Je  te  dis  que  si  1 

COLOMBINE. 

Je  te  dis  que  non  !  Du  reste,  mon  cher  Pierrot,  c'est  à 
prendre  ou  à  laisser  :  pas  de  cassette,  pas  de  Colombine  ! 

PIERROT. 

Mais  tu  y  tiens  donc  bien  ? 

COLOMBINE. 

Eh  !  sans  doute,  j'y  tiens  1  Ce  doit  être  une  fortune... 

PIERROT. 

Mais  enfin,  comment  le  docteur,  notre  maître,  t'a-t-il  dit 
cela? 

COLOMBINE. 

Voilà  !  C'était  après  son  dernier  accès  de  goutte,  je  l'avais 
privé  de  vin,  de  café,  de  cognac,  de  gibier,  de  salade,  de 
citrons,  d'oranges,  de  tout  enfin  !  Jamais  un  goutteux 
n'avait  été  soigné  ainsi  I  II  avait  toujours  la  goutte,  mais 


La  cassette  du  Docteur  79 

il  avait  été  bien  soigné,  ce  qui  est  l'important...  pour  le 
médecin.  Alors  dans  sa  reconnaissance,  il  me  dit:  Colom- 
bine,  mon  enfant,  je  veux  reconnaître  tes  bons  services  ;  tu 
vois  cette  cassette?  Eh  bien,  elle  est  à  toi  !  —  J'allais  la 
prendre  vivement,  quand  il  ajouta  :  tu  en  prendras  posses- 
sion après  ma  mort. 

PIERROT. 

Eh  bien,  tu  vois,  le  docteur  n'est  pas  mort,  puisque  depuis 
hier  il  s'est  installé  ici  au  bord  de  la  mer  avec  tout  son 
personnel  :  Arlequin,  Scapin,  toi  et  moi.  Il  est  vrai  que  c'est 
pour  sa  santé,  mais,  dans  un  si  beau  pays,  il  ne  consentira 
jamais  à  mourir. 

COLOMBINE. 

Aussi  l'important  n'est  pas  qu'il  meure,  c'est  que  j'aie  la 
cassette,  qui  est  à  moi,  bien  à  moi,  comme  il  me  l'a  dit. 

pieArot. 
Cependant... 

COLOMBINE. 

Est-ce  l'amour  que  tu  dis  avoir  pour  moi,  qui  te  rend  si 
scrupuleux  ?  mais,  mon  pauvre  bêta  de  Pierrot,  tu  ne  rai- 
sonnes pas.  Le  docteur  m'a-t-il  promis  sa  cassette,  oui  ou 
non  ? 

PIERROT. 

Oui  I  Puisque  tu  le  dis. 

COLOMBINE. 

Eh  bien  !  Chose  promise,  chose  due  !  Et  ce  n'est  pas  voler 
que  de  prendre  son  dû. 

PIERROT. 

En  es-tu  bien  sûre  ? 

COLOMBINE. 

Mais  certainement,  grand  nigaud  I 


80  Ombres  chinoises 


AIR  :  —Le  Serin. 

N»  5;des  Chants  du  1"  Age.  L.  Houssot. 

I 

Tiens  !  Je  le  promets  un  baiser 
Un  tout  petit  baiser  pour  rire, 
Tu  le  prends,  il  n'est  p"s  volé, 
Ne  t'ai-je  pas  autorisé. 

II 

Ce  baiser,  qui  te  vient  de  moi, 

—  Comprends  ce  que  je  veux  te  dire,  — 

C'est  ta  conquête,  il  est  à  toi, 

Tu  peux  le  garder  sans  effroi . 

111 

Donc,  si  le  docteur  m'a  fait  don 
De  sa  précieuse  cassette 
Elle  est  à  moi,  je  le  répète. 
Grand  imbécile,  prends-là  donc. 

PIERROT. 
C'est  ma  foi  vrai  !  Cela  me  décide,  je  prendrai  la  cassette 
du  docteur. 

COLOMBINE. 

A  la  bonne  heure  ?  Et  quand  tu  m'auras  remis  la  cassette, 
nous  nous  marierons. 

PIERROT. 

J'y  cours,  ma  chère  Colombine  ! 

COLOMBINE. 

Attends  !  Une  dernière  précaution  !  Méfle-toi  d'Arlequin 
et  de  Scapin...  s'ils  se  doutaient?... 

PIERROT. 

Oh  !  Je  suis  plus  malin  qu'eux,  n'aie  pas  peur  !  (Il  sort.) 


La  cassette  du  Docteur  81 


SCÈNE  II 
COLOMBINE,  puis  ARLEQUIN. 

COLOMBINE. 

J'ai  eu  bien  de  la  peine  à  le  décider,  mais  enfin  j'ai  pu  le 
convaincre.  C'est  vrai,  depuis  que  le  docteur  m'a  promis 
cette  cassette,  je  meurs  d'envie  de  savoir  ce  qu'il  y  a  dedans. 
C'est  un  cadeau  qu'il  a  voulu  me  faire,  par  conséquent  ce 
doit  être  de  l'or  ou  des  bijoux.  Voilà  qui  va'nous  être  utile 
pour  nous  mettre  en  ménage.  Au  fond,  je  n'ai  pas  de  remords  ! 
N'est-ce  pas  rendre  un  service  au  docteur  que  de  l'obliger  à 
tenir  sa  parole?  Car  enfin,  s'il  m'avait  oubliée  sur  son 
testament,  la  cassette  reviendrait  à  ses  héritiers  et  ainsi  sa 
volonté  âe  serait  pas  remplie. 

ARLEQUIN,  entrant. 

Que  ra  jontes-tu  là  toute  seule,  Colombine  ? 

COLOMBINE. 

Des  ch  jses  qui  ne  te  regardent  point,  mon  cher  Arlequin. 

ARLEQUIN. 

Oh  !  oh  î  Je  viens  de  te  voir  causer  avec  Pierrot.  Vous 
méditez  quelque  mauvais  coup  ensemble. 

COLOMBINE. 

Peut  êUe  bien!  En  tout  cas,  tu  n'as  pas  besoin  de  savoir 
ce  que  nous  disions. 

ARLEQUIN. 

Et  si  je  le  devinais  ? 

COLOMBINE. 

Tu  serais  bien  malin  I  mais  rien  ne  t'empêche  de  faire  des 
suppositions. 

5. 


82  Ombres  chinoises 

ARLEQUIN. 

Avoue  que  vous  méditez  quelque  tour  contre  le  docteur. 

COLOMBINE. 

Notre  maître  ]  Que  nous  aimons  tant  1  Peux-tu  le  penser  I 

ARLEQUIN. 

Ou  contre  un  autre. 

COLOMBINE. 

C'est  bien  possible,  mais  je  ne  te  dirai  rien...  parce  qu'il 
n'y  a  rien.  Et  sur  ce,  mon  très  curieux  Arlequin,  je  te  tire 
ma  révérence  !  (Elle  sort.) 


SCÈNE  III 
ARLEQUIN,  puis  PIERROT. 

ARLEQUIN. 

Que  pouvait-elle  bien  raconter  ainsi  à  Pierrot  ?  Depuis 
quelque  temps  ils  sont  toujours  ensemble.  Ces  gaillards-là 
s'entendent  comme  larrons  en  foire  1  Oh!  mais  Pierrot  sera 
moins  discret,  je  l'interrogerai  et,  s'ils  ont  fait  quelque 
bonne  affaire,  j'en  veux  ma  part. 

PIERROT,  entrant,  à  part. 
Le  coup  est  fait!  Je  viens  de  prendre  la  cassette  et  l'ai 
cachée  dans  la  chambre  de  Golombine.  Maintenant  elle  ne 
me  refusera  plus  sa  main. 

ARLEQUIN,  apercevant  Pierrot. 
Hé  mais,  ce  bloc  de  farine,  ce  fantôme  blanc  qui  regarde 
la  mer,  n'est-ce  pas  Pierrot  ?  Hola  I  Pierrot  I 

PIERROT. 

Arlequin  I  (A  part.)  Pourvu  qu'il  n'ait  rien  vu  ! 


La  cassette  du  Docteur  83 

ARLEQUIN. 

Hé  !  Que  fais-tu  ici  ? 

'  PIERROT. 

Ce  que  tu  y  fais  toi-même.  Je  prends  l'air  pur  ! 

ARLEQUIN. 

Tu  ne  prends  que  cela  ? 

PIERROT,  à  part. 

Kst-ce  qu'il  se  douterait  ?  (Haut.)  Mon  Dieu,  oui.  Il  fait 
si  bon  ici,  l'air  y  est  doux,  toutes  les  fleurs  répandent  des 
parfums  enivrants. 

ARLEQUIN. 

Ça  te  fera  mal  à  la  tête. 

PIERROT. 

Je  ne  crois  pas.  Le  docteur  m'a  recommandé  de  me  pro- 
mener. _(i  part.)  Je  voudrais  bien  m'en  débarrasser  pour 
prévenir  Colombine. 

ARLEQUIN. 

A  moi  aussi,  le  docteur  a  recommandé  le  soleil  :  Veux-tu 
nous  promener  ensemble  ? 

PIERROT,  à  part. 

Il  ne  veut  pas  me  quitter  !  Je  crois  qu'il  se  doute  de 
quelque  chose. 

ARLEQUIN. 

Dis,  veux-tu  nous  promener  tous  deux?  Tu  causes  si  bien. 

PIERROT. 

C'est  que... 

ARLEQUIN. 

Il  hésite.  Il  veut  rester  seul,  ne  le  quittons  pas. 

PIERROT. 

C'est  que  ma  promenade  est  finie  et  j'allais... 


84  Ombres  chinoises 


ARLEQUIN. 

Où  allais-tu  ?  J'irai  avec  tpi. 

PIERROT. 

Viens  donc  !  (A  part.)  Je  le  lâcherai  en  route.  (Ils  sortent.) 

SCÈNE  IV 
Le  Docteur,  SCAPIN. 

le  docteur. 
Oui,  Scapin,  comprends-tu  cela?  Ma  cassette.  —  Je  la 
egardais  encore  ce  matin.  —  Eh  bien,  elle  a  disparu. 

SCAPIV. 

N'ayez  pas  peur,  mon  cher  maître,  je  la  retrouverai. 
D'abord,  il  faut  savoir  qui  a  fait  le  coup?  Je  soupçonne 
Pierrot  ou  Arlequin.  Ils  sont  capables  de  tout. 

LE   DOCTEUR. 

Et  qui  te  fait  penser  ? 

SCAPIN. 

On  ne  les  a  pas  vus  de  la  matinée.  Laissez-moi  faire,  je 
vous  rattraperai  votre  voleur. 

LE   DOCTEUR. 

Ma  pauvre  cassette  ! 

SCAPIN. 

Elle  était  bien  pleine  ? 

LE   DOCTEUR. 

Oh  oui,  jusqu'au  bord. 

SCAPIN,  à  part. 
C'est  bon  à  savoir.  (Haut.)  Eh  bien,  si  j'ai  un  conseil  à 
vous  donner,  c'est  d'aller  vous  reposer  un  moment.  S'ils 


La  casselte  du  Doclear  85 

nous  voyaient  ensemble,  ils  se  méfieraient,   mais  ils  ne 
craindront  rien  de  moi. 

LE   DOCTEUR. 

Tu  as  peut-être  raison.  (Il  sort.) 

SCÈNE  V 

SCAPIN. 

Scapin,  mon  ami,  sois  habile!  Il  faut  maintenant  que  la 
cassette  soit  à  toi. 

SCÈNE  YI 
SCAPIN,  PIERROT. 

PIERROT. 

Je  m'en  suis  débarrassé  !  (Apercevant  Scapin.)  Oh  ! 
Scapin  !  Encore  un  que  je  n'attendais  pas. 

SCAPIN. 

Hé  !  Te  voilà  Pierrot  ? 

PIERROT. 

Comme  tu  vois,  je  prends  l'air! 

SCAPIN. 

C'est  bien  peu  I  (A  part.)  Frappons  tout  de  suite  le  grand 
coup  !  (Haut.)  Alors  tu  prends  l'air  tranquillement  comme 
ça,  sans  remords  ? 

PIERROT,  à  part. 

Est-ce  qu'il  se  douterait  aussi  ?  (Haut.)  Pourquoi  des 
remords  ? 

SCAPIN. 

Dame,  mon  cher  Pierrot;  à  ta  place  je  serais  moins  calme. 


86  Ombres  chinoises 

PIERROT,  à  part. 
Il  sait  tout  I  (Hant.)  Pourquoi  ? 

SCAPIN. 

Parce  que  le  Docteur  s'est  aperçu  du  vol  de  sa  cassette. 

PIERROT. 

Ah  I  on  lui  a  volé  sa  cassette  ?  Ce  n'est  pas  moi. 

•SCAPIN,  à  part. 
C'est  lui  1  (Haut.)  Il  est  bien  possible  que  ce  ne  soit  pas 
toi,  mais  le  Docteur  croit  que  c'est  toi. 

PIERROT. 

Et  alors? 

SCAPIN. 

Alors,  je  dois  t'avouer  que  le  Grand  Ju^e  est  averti,  que 
ton  signalement  est  donné  et  que  d'un  moment  à  l'autre, 
tu  peux  être  arrêté. 

PIERROT. 

Diavolo  !  Comment  faire? 

SCAPIN. 

Mais  si  tu  ne  l'as  pas  prise,  tu  n'as  rien  à  craindre. 

PIERROT. 

Certes!  Je  ne  l'ai  pas  prise...  c'est  tout  au  plus  si  je  l'ai 
empruntée. 

SCAPIN. 

C'est  tout  comme  1  Eh  bien,  rends-la  moi,  et  il  ne  te  sera 
rien  fait. 

PIERROT. 

Est-ce  que  tu  la  rendrais,  toi  ? 

SCAPIN,  hésitant. 
J'avoue  que... 


La  cassette  du  Docteur  87 

PIERROT. 

Alors  tu  me  comprends. 

SCAPIN. 

Il  faut  pourtant  que  tu  sortes  de  là.  Ah  !  si  je  l'avais 
prise,  moi,  je  sais  bien  ce  que  je  ferais. 

PIERROT. 

Que  ferais-tu  ? 

SCAPIN. 

Mais  je  ne  l'ai  pas  prise. 

PIERROT. 

Voyons,  mon  cher  Scapin,  dis-moi  ce  que  tu  ferais. 

SCAPIN. 

Eh  bien,  donne-moi  la  moitié  du  trésor  et  je  te  le  dirai- 

PIERROT. 

La  moitié,  c'est  beaucoup. 

SCAPIN. 

Et  si  tu  es  pendu,  tu  n'auras  rien. 

PIERROT. 

Eh  bien,  viens  avec  moi,  nous  allons  partager. 

SCAPIN,  à  part. 
Allons  donc  !  J'y  suis  arrivé. 

PIERROT. 

Je  vais  te  conduire,  mon  adorable  Scapin. 

SCAPIN. 

Je  te  suis,  aimable  Pierrot.  {Ils  sortent.) 


88  Ombres  chinoises 

SCÈNE  VII 
ARLEQUIN,  puis  Le  Docteur. 

ARLEQUIN. 

Pierrot  m'a  glissé  entre  les  mains.  Comment  le  rattraper 
maintenant  ?  Evidemment,  il  ne  se  souciait  pas  de  m'avoir 
pour  compagnon  ;  c'est  qu'il  aura  fait  quelque  bonne  affaire 
dont  il  ne  veut  pas  me  donner  une  part.  Raison  de  plus 
pour  ne  pas  le  quitter. 

LE    DOCTEUR. 

Je  me  suis  assez  reposé,  j'aime  mieux  me  promener. 
Justement  voici  Arlequin.  Quand  on  voit  Arlequin,  Pierrot 
n'est  pas  loin.  Hola  I  Arlequin  ! 

ARLEQUIN. 

Le  Docteur  !  Que  voulez-vous,  mon  bon  maître  ? 

LE  DOCTEUR. 

Il  ne  tremble  pas  en  me  voyant  I  Mais  tous  mes  valets 
sont  tellement  effrontés  !  Je  vais  l'intimider  :  (Haut.)  Tu 
m'as  pris  ma  cassette  ! 

ARLEQUIN. 

Vous  aviez  une  cassette  ? 

LE   DOCTEUR. 

Avoue  que  c'est  toi  et  rends-la  moi,  je  ne  te  ferai  rien. 

ARLEQUIN. 

Comment  me  pouvez-vous  soupçonner.  Moi,  Arlequin,  un 
si  honnête  homme  ! 

LE  DOCTEUR,  à  part. 

Il  n'a  pas  tremblé.  (Haut.)  Mais  alors,  si  ce  n'est  pas  toi, 
c'est  Pierrot. 


La  cassette  du  Docteur  89 

ARLEQUIN. 

Eh!  Sans  doute  !  Ce  ne  peut  être  que  Pierrot  I  {A  part.) 
Tout  s'explique  maintenant.  Si  Pierrot  m'évitait,  c'est  qu'il 
avait  pris  la  cassette. 

LE   DOCTEUR. 

Eh  bien,  où  est  Pierrot  ?  On  t'a  vu  avec  lui. 

ARLEQUIN. 

On  m'a  vu  avec  lui  !  Qui  ça  ? 

LE   DOCTEUR. 

Scapin,  parbleu  ! 

ARLEQUIN. 

Scapin  !  {A  part.)  Toujours  à  nous  espionner,  ce  Scapin! 

LE    DOCTEUR. 

Voyons,  où  est  Pierrot,  que  le  lui  reprenne  la  cassette 
qu'il  m'a  volée. 

ARLEQUIN. 

Je  ne  sais  pas,  moi  !  Je  l'ai  bien  vu  comme  cela,  de  loin  ; 
mais  je  ne  sais  pas  où  il  est. 

LE  DOCTEUR,  à  part. 

Je  vois  que  Scapin  m'a  trompé  ;  il  a  dû  s'arranger  avec 
Pierrot  pour  garder  mon  trésor.  C'est  à  Arlequin  que 
j'aurais  dû  me  confier.  [Haut.)  Dis-moi,  Arlequin,  aimes-tu 
les  petits  écus  ? 

ARLEQUIN. 

Mais  oui,  docteur,  quand  ils  ne  sont  pas  rognés. 

LE   DOCTEUR. 

Eh  bien,  si  tu  peux  reprendre  ma  cassette  à  Pierrot  et  me 
la  rendre,  je  te  donnerai  un  petit  écu. 

ARLEQUIN. 

Un  seul  petit  écu  ?  « 


90  Ombres  chinoises 

LE  DOCTEUR. 

Eh  bien,  je  t'en  donnerai  deuxl  Va  me  la  reprendre,  mon 
cher  Arlequin. 

ARLEQUIN. 

J'y  cours,  mon  bon  maître.  (A  part.)  Mais  si  je  puis  la 
reprendre,  je  la  garde  pour  moi.  (Il  sort.) 

SCÈNE  VIII 

Le  Docteur,  puis  PIERROT. 

LE   docteur. 

Excellente  nature  !  Il  ferait  tout  pour  un  petit  écu  !  Oh  ! 
mais  qu'est-ce  que  je  vois  là?  N'est-ce  pas  Pierrot?  Oui, 
c'est  lui-même  !  Ah  !  parbleu  !  la  rencontre  est  bonne,  je 
vais  me  faire  rendre  moi-même  ma  cassette,  comme  cela, 
je  gagnerai  deux  petits  écus. 

PIERROT,  entrant  en  chantant. 
Tralalalère  !   Tralalala.    Jamais  Scapin   ne   reviendra  ! 
{Apercevant  le  docteur.)  Oh  I  Le  docteur  !  Comment  sortir 
delà! 

LE   DOCTEUR. 

Hé  !  Tu  es  bien  gai,  Pierrot  ? 

PIERROT. 

Oui,  mon  bon  maître,  oui,  parce  que  j'ai  un  poids  de 
moins  sur  la  conscience.  Oui  I  J'avais  eu  la  faiblesse  de  vous 
emprunter  votre  cassette;  vous  savez,  on  a  des  idées... 
mauvaises  quelquefois,  mais  on  a  du  cœur,  on  se  repent. 

LE  DOCTEUR. 

C'est  bien,  cela.  Alors  tu  l'as  remise  à  Scapin  ? 


La  cassette  du  Docteur  91 

PIERROT. 

Oh,  non  I  II  l'aurait  gardée. 

LE  DOCTEUR. 

Alors,  tu  me  la  rapportes  ? 

PIERROT. 

Pas  précisément. 

LE  DOCTEUR. 

Enfin,  tu  ne  la  gardes  pas  ? 

PIERROT. 

Non,  mais  je  vais  vous  dire  où  je  l'ai  cachée,  vous  la 
reprendrez  vous-même. 

LE   DOCTEUR. 

Je  savais  bien  que  tu  étais  gentil. 

PIERROT. 

Eh  bien,  regardez  par  ici.  Voyez-vous  ces  rochers  à  pic  et 
ces  vagues  qui  viennent  se  briser  dessus,  et  ce  gros  rocher  ? 

LE  DOCTEUR. 

Où  ça,  ce  gros  rocher  ? 

PIERROT. 

Là  î  Penchez-vous  un  peu.  Vous  voyez  ?  Penchez-vous 
encore.  —  Oh  I  mon  Dieu!  Il  est  tombé  !  {Le  docteur  tombe.) 
Mon  pauvre  docteur  !  Tu  n'as  plus  besoin  de  cassette  main- 
tenant I  Elle  est  bien  à  nous  ! 


SCÈNE  IX 
PIERROT,  ARLEQUIN. 

ARLEQUIN. 

Ah  !  Pierrot  !  Je  te  cherche  partout  ! 


92  Ombres  chinoises 

PIERROT,  à  part. 
Arlequin  !  Je  l'avais  oublié  !  Comment  me  débarrasser  de 
celui-là  !  (Haut.)  Et  moi  aussi,  je  te  cherche  !  Je  voulais 
t'inviter  à  dîner. 

ARLEQUIN. 

J'accepte,  mon  cher  Pierrot,  j'accepte. 

PIERROT,  à  part. 
C'est  un  ivrogne.  Je  mettrai  un  peu  de  poison  dans  son 
vin  et  tout  sera  dit. 

ARLEQUIN. 

Tu  es  un  véritable  ami  ! 

PIERROT, 

Je  t'ai  toujours  aimé.  Allons,  viens,  mon  bon  Arlequin, 
tu  vas  voir  comme  je  vais  bien  te  traiter  ? 

ARLEQUIN. 

Tu  as  donc  de  l'argent  ? 

PIERROT. 

Quelques  petites  économies...  que  personne  ne  connaît; 
nous  les  mangerons  ensemble.  Va,  passe  le  premier.  (Ils 
sortent.) 

SCÈNE  X 

coLOMBiNE,   entrant  avec  un  coffret. 

Il  a  pris  la  cassette  du  docteur  et  l'a  mise  dans  ma 
chambre,  c'est  bien  imprudent  !  Moi  d'abord  je  me  moque 
de  la  cassette,  c'est  son  contenu  que  je  voudrais  connaître. 
Pierrot  ne  va  pas  tarder  sans  doute  à  venir. 


La  cassette  da  Docteur  93 


SCÈNE  XI 

COLOMBINE,  PIERROT. 

PIERROT. 

C'est  fait  !  Ah  !  ça  n'a  pas  été  long.  Au  premier  verre  de 
vin  je  lui  ai  mis  une  petite  poudre  dans  son  verre  et  un 
moment  après,  il  a  fait  couic!  Me  voici  libre,  riche,  heureux 
et,  chose  étonnante,  je  n'ai  pas  l'ombre  d'un  remords. 

Am  :  De  la  Boulangère. 

I 

Maintenant  que  j'ai  des  écus, 

Je  suis  à  mon  affaire, 
Tous  mes  soucis  sont  disparus, 

Plus  de  tristesse  amère  ; 
Bien  plus, 
Mon  sort  est  très  prospère. 

II 

Avec  Colombine,  je  vais 
Passer  ma  vie  entière. 
Nous  habiterons  un  palais 
Ou  bien  une  chaumière. 

Jamais 
Nous  n'aurons  de  misère  ! 

Comme  je  vais  jouir  de  la  vie  dans  ce  beau  pays,  avec 
Colombine I  Tiens!  Justement  la  voici.  Bonjour  Colombine! 

COLOMBINE. 

Ah  !  te  voilà  !  Dis-donc,  j'ai  la  cassette  avec  moi.  On 
aurait  pu  la  découvrir  dans  ma  chambre. 

PIERROT. 

Qui  ça  ? 


94  Ombres  chinoises 


Mais  Scapin  ! 
Il  est  mort  I 
Ou  bien  Arlequin. 
Il  est  mort  ! 
Enfin,  le  docteur  ! 
Il  est  mort  ! 


COLOMBINE. 

PIBRROT. 
COLOMBINE. 

PIERROT. 
COLOMBINE. 

PIERROT. 


COLOMBINE. 

A  h  bah!  Ils  sont  tous  morts.  Comment  cela  est-il  arrivé? 

PIERROT. 

Oh  !  C'est  bien  simple!  Scapin  a  voulu  prendre  un  bain 
de  mer  et  il  s'est  noyé.  Le  docteur,  lui,  regardait  dans  la 
mer  ;  tiens,  là  !  Il  s'est  trop  penché  et  est  tombé  dans  l'eau. 
Quant  à  Arlequin,  je  l'avais  invité  à  déjeuner  ;  en  se  mettant 
à  table,  il  a  eu  une  congestion  et  il  a  fait  couic  !  —  Allons  I 
Oublions  tout  cela  et  voyons  ce  qu'il  y  a  dans  la  cassette. 

COLOMBINE. 

Elle  n'est  pas  bien  lourde. 

PIERROT. 

Lourde  ou  légère,  qu'elle  soit  pleine,  c'est  tout  ce  que 
je  demande.  (li  ouvre  la  cassette  qui  est  pleine  de  papiers.) 

COLOMBINE. 

Des  papiers  et  pas  d'argent  !  Nous  sommes  volés  ! 

PIERROT. 

Qui  sait  !  Ce  sont  peut-être  des  obligations,  des  actions, 
des  titres  de  rentes... 


La  cassette  du  Docteur  95 

COLOMBINE. 

Hélas  !  Ce  ne  sont  que  des  recettes,  vois  plutôt. 

PIERROT,  lisant. 
Recette  infaillible  pour  le  mal  de  dents  :  —  Si  une  dent 
vous  fait  mal,  arrachez-la,  vous  n'en  souffrirez  plus. 

COLOMBINE. 

Elle  est  jolie,  la  recette  ! 

PIERROT . 

Une  autre.  Recette  infaillible  pour  les  cors  aux  pieds  :  — 
Si  vous  avez  un  cor  aux  pieds,  faites- vous  couper  la  jambe. 
Le  cor  ne  reviendra  pas. 

COLOMBINE. 

Et  voilà  les  médecins  ! 

PIERROT. 

Si  vous  avez  un  rhume  de  cerveau,  mettez-vous  dans  un 
courant  d'air,  vous  attrapez  une  fluxion  de  poitrine  qui 
vous  emportera  et,  avec  vous,  le  rhume  de  cerveau. 

COLOMBINE. 

Rien  obligé  1  Et  voilà  le  cadeau  du  docteur?  Tu  n'es  qu'un 
imbécile  ! 

PIERROT. 

Moi  !   Un  imbécile  ? 

COLOMBINE. 

Eh  !  sans  doute,  tu  n'es  qu'un  imbécile  î 

PIERROT. 

Est-ce  que  je  pouvais  savoir? 

COLOMBINE. 

Il  fallait  savoir  !  Je  ne  veux  pas  d'un  homme  aussi  bête 
que  toi.  Je  te  reprends  ma  parole  ;  je  ne  t'épouserai  pas, 
adieu!  {Elle  sort.) 


96  Ombres  chinoises 


SCÈNE  XII 
PIERROT,  puis  Un  Gendarme. 

PIERROT. 

Oh  I  mon  Dieu  I  Eh  bien,  me  voilà  joli  maintenant  I  Je 
suis  un  voleur,  un  assassin,  tout  cela  par  amour  et  Colom- 
bine  ne  veut  plus  de  moi  I  Mon  Dieu  1  Que  je  suis  malheu- 
reux! 

UN  GENDARME,  entrant. 

Halte-là!  C'est  vous  qui  vous  nommez  le  nommé  Pierrot? 
Eh  bien,  mon  gaillard,  je  ne  sais  pas  ce  que  vous  avez  dans 
le  corps,  pour  être  un  criminel  dans  un  pays  aussi  remar- 
quablement supérieur  !  Vous  allez  me  suivre  en  prison. 

PIERROT. 

Ah  !  mon  Dieu  !  J'aurais  dû  m'y  attendre.  Je  vous  suis, 
gendarme  I 


(Rideau.) 


LE  CRIME  DE  SAINT-JUST 


VI 


LE  CRIME  DE  SAINT-JUST 


Valentin. 

Richepanse. 

Larisette. 

Fricandard. 

Ratatouille. 


DECOR 


Une  place  publique.  —  A  gauche  une  grange.  —  A  droite 
une  charcuterie. 

COSTUMES 

Valentin,  Costume  de  touriste. 
Richepanse,  Juge,  toge  et  robe. 
larisette,  Gendarme. 
Fricandard,  Grands  tabliers,  bras  nus. 
Ratatouille,  id. 


Le  crime  de  Saint^Just 

COMÉDIE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES. 

VALENTIN,  voyageur. 
RICHEPANSE,  juge. 
LARISETTE,  gendarme. 
FRICANDARD,  charcutier. 
RATATOUILLE,  charcutier. 


100  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 

VALENTIN. 

Je  suis  fait  comme  un  voleur  et  cependant  c'est  moi  qui 
suis  volé.  Personne  ne  le  croirait,  pourtant  c'est  l'absolue 
vérité.  Ecoutez  mon  aventure.  J'aime  les  excursions,  et 
surtout  les  excursions  fantaisistes,  partant  sans  avoir  de 
but,  sans  savoir  où  je  vais,  à  pied  bien  entendu  et  ne  man- 
quant jamais  le  train  que  je  n'attends  jamais.  Comme  je 
voyage  toujours  seul,  je  m'arrête  quand  je  veux,  je  pour- 
suis mon  chemin  quand  il  me  plaît  et  je  cause  avec  la 
nature  qui  est  toujours  de  mon  avis.  Or,  hier  soir,  comme 
je  sortais  d'un  bois,  je  me  trouvai  tout  à  coup  en  face  de 
trois  gaillards  déguenillés  qui,  sans  me  dire  un  mot,  sautè- 
rent sur  moi,  s'emparèrent  de  mes  vêtements  et  me  lais- 
sèrent tout  nu  au  pied  d'un  arbre.  L'endroit  était  désert, 
je  jugeai  inutile  de  crier.  Ces  gentilshommes  de  grand 
chemin  avaient  cependant  eu  une  attention  ;  du  moins  l'un 
d'eux,  celui  qui  avait  revêtu  mes  habits,  m'avait  laissé  ses 
guenilles  que  j'endossai  avec  plaisir  et  qui  me  permirent 
d'arriver  jusqu'à  ce  village  où  je  vais  me  reposer.  Voici 
d'abord  une  grange  où  je  réparerai  mes  fatigues.  {Il  rentre 
dans  la  grange  à  droite). 


SCÈNE  II 
FRIGANDARD,  et  RATATOUILLE,  entrant  par  la  gauche. 

FRICANDARD. 

La  meilleure  manière  est  de  lui  donner  un  coup  de  massue 
sur  la  tôte. 


Le  crime  de  Saini-Jasi  101 


RATATOUILLE . 

Evidemment  le  procédé  est  bon,  mais  il  n'est  pas  définitif, 
il  arrive  souvent  que  le  sujet  n'est  qu'étourdi. 

FRICANDARD. 

Peut-être,  eh  bien  nous  le  saignerons.  D'aulant  plus  que 
nous  n'avons  pas  de  temps  deperdu.  C'est  àsix  heures  je  crois 
que  nous  trouverons  Monsieur  Richepanse. 

RATATOUILLE. 

Oh!  nous  ne  le  manquerons  pas. 

FRICANDARD. 

Tu  as  repassé  ton  couteau  ? 

RATATOUILLE. 

11  est  fraîchement  aiguisé. 

FRICANDARD. 

Allons,  le  moment  est  venu,  viens  ! 

RATATOUILLE. 

Je  te  recommande  surtout  de  le  bien  tenir,  de  façon  à  ce 
qu'il  ne  bouge  pas. 

FRICANDARD. 

Sois  tranquille  !  Tu  regorgeras  du  premier  coup,  {ils 
rentrent  à  droite). 

SCÈNE  III 

VALENTIN,  sortant  de  la  grange. 

Qu'ai-je  entendu  ?  J'en  suis  encore  tout  tremblant.  Ce 
sont  peut-être  les  brigands  qui  m'ont  dévalisé.  Us  vont  le 
couper  par  morceaux.  C'est  sans  doute  un  pauvre  voyageur 
comme  moi.  Que  faire?  Je  ne  puis  pas  laisser  commettre 
un  crime  ;  il  faut  intervenir.   Si  j'avais   des  armes  !    Mais 

6. 


102  Ombres  chinoises 

rien!  Et  ceci  se  passe  en  plein  jour  dans  un  pays  civilisé, 
c'est  horrible  !  J'ai  envie  de  crier  au  secours... 


SCENE  IV 
VALENTIN,  LARISETTE. 

LARisETTE,  à  part 
Un  étranger  ! 

VALENTIN,  sans  voir  Larisette. 
J'ai  envie  d'aller   avertir  la  gendarmerie.   (Il  va  pour 
sortir.) 

LARISETTE,  l'arrêtant. 
Un  instant  !  Vos  papiers. 

VALENTIN. 

Il  s'agit  bien  de  mes  papiers  !  Gendarme,  on  va  commettre 
un  crime. 

LARISETTE. 

Ça  ne  me  regarde  pas.  Vos  papiers  ? 

VALENTIN. 

Mais,  malheureux.  Il  n'y  a  pas  un  instant  à  perdre.  Le 
crime  se  commet  peut-être  en  ce  moment.  Il  faut  l'empê- 
cher à  tout  prix  !  A  tout  prix,  entendez-vous? 

LARISETTE. 

J'entends  bien.  Vous  voulez  gagner  du  temps.  Mais  le 
gendarme  Larisette  est  un  malin,  on  ne  lui  en  fait  pas 
accroire. 

VALENTIN. 

Mon  Dieu,  que  ce  gendarme  est  entêté  I  Mais  vous  n'avez 
donc  pas  de  cœur  ?  Vous  n'avez  donc  pas  d'âme  ?  Vous  ne 
connaissez  donc  pas  vos  devoirs  ? 


Le  crime  de  Saint- Jus f  103 

LARISETTE. 

Mes  devoirs  !  Je  les  connais  mieux  que  vous  !  J'ai  été 
averti  que  certaines  personnes  de  mauvaise  mine  diva- 
guaient dans  la  commune  de  Saint- Just  et  j'ai  reçu  l'ordre 
de  les  arrêter  ;  vos  papiers  ? 

VALENTIN. 

Mais  enfin,  je  n'ai  pas  mauvaise  mine,,mol? 

LARISETTE. 

C'est  que  vous  ne  vous  êtes  pas  regardé  !  —  D'abord  tout 
un  chacun  qui  n'a  pas  de  papiers,  a  mauvaise  mine.  Vos 
papiers^? 

VALENTIN. 

Mes  papiers!  Mes  papiers!  Est-ce  que  j'en  ai  des  papiers  ? 
C'est-à-dire,  si,  j'en  avais,  mais  on  me  les  a  pris. 

LARISETTE. 

Je  vais  vous  confondre.  On  ne  prend  pas  de  papiers,  on 
prend  de  l'argent,  des  valeurs,  des  bijoux,  mais  on  ne 
prend  pas  de  papiers  I  A  quoi  ça  servirait-il  de  prendre  des 
papiers?  Mais  enfin,  une  supposition  que  vous  aviez  des 
papiers,  qui  est-ce  qui  vous  les  a  pris. 

VALENTIN. 

Des  malfaiteurs  qui  m'ont  dévalisé. 

LARISETTE. 

Vous  voyez  bien  que  vous  mentez  !  S'ils  vous  ont  déva- 
lisé, ils  n'ont  pas  pris  vos  papiers.  Quand  on  dévalise 
quelqu'un  on  prend  sa  valise. 

VALENTIN. 

Mais  mes  papiers  étaient  dans  ma  valise. 

LARISETTE. 

C'est  invraisemblable  !  On  porte  toujours  ses  papiers  sur 
soi.  Enfin,  supposons  toujours  que  vous  aviez  des  papiers  ? 


t04  Ombres  chinoises 


Si  des  malfaiteurs  vous  les  ont  pris,  vous  devez  savoir  où 
sont  ces  malfaiteurs  ? 

VALENTIN. 

Parbleu  !  Ce  sont  sans  doute  ceux  q  ji  sont  dans  cette 
maison  cù  ils  vont  assassiner  un  homme  !... 

LARISETTE. 

Alors  ce  sont  des  assassins  et  non  des  malfaiteurs. 

VALENTIN. 

Assassins  !  Malfaiteurs  I  c'est  la  même  chose  ! 

LARISETTE. 

Et  d'abord,  pourquoi  dites-vous  que  ce  sont  des  assas- 
sins? Si  c'étaient  des  assassins,  ils  vous  auraient  tué  et 
n'auraient  pas  pris  vos  papiers. 

VALENTIN. 

Mais,  malheureux  gendarme,  je  viens  de  les  entendre 
comploter  leur  crime...  Je  ne  crois  pas  que  l'homme  soit 
déjà  tué,  c'est  pour  cela  que  je  vous  supplie  de  les  arrêter 
auparavant. 

LARISETTE. 

Je  ne  peux  pas  arrêter  un  homme  pour  un  crime  qu'il 
n'a  pas  commis  encore. 

VALENTIN. 

Mais  vous  pouvez  empêcher  qu'il  commette  ce  crime. 

LARISETTE. 

Non  pas  !  Je  n'ai  pas  reçu  d'ordre.  Si  mon  brigadier 
m'avait  dit  :  «  Larisette,  voici  un  homme  qui  va  commettre 
un  crime,  il  faut  l'arrêter  !  »  Je  l'arrêterais  !  mais  autre- 
ment, je  ne  peux  pas,  parce  que  tant  qu'il  n'a  pas  commis 
de  crime,  il  est  innocent. 

VALENTIN. 

Il  ne  le  sera  plus  tout  à  l'heure. 


Le  crime  de  Saint-Just  105 

LARISETTE. 

Alors,  tout  à  l'heure,  nous  verrons  !  Quant  à  vous,  je 
vous  arrête,  parce  que  vous  êtes  coupable,  puisque  vous 
n'avez  pas  de  papiers. 

vALENTiN,  exaspéré. 
Air  :  Garde  à  vous. 

Des  papiers  ! 

Des  papiers  ! 
Que  voulez-vous  qu'j'en  fasse? 
Jamais  je  n'm'embarasse 
En  voyage,  de  papiers  ! 

De  papiers  ! 

De  papiers  ! 
Je  ne  fais  pas  usage 
De  tous  ces  griffonnages 
Qui  servent  aux  greffiers. 

Des  papiers  !  (ter) 

LARISETTE. 

Voyons  !  n'aggravez  pas  votre  situation  !  Tout  le  monde 
a  des  papiers.  Moi,  qui  vous  parle,  j'ai  des  papiers. 
D'abord,  mon  acte  de  naissance  qui  prouve  que  je  suis  né  : 
Tenez  !  montrez-moi  seulement  votre  acte  de  naissance  et 
je  vous  laisse  aller. 

VALENTIN. 

Mais  on  ne  voyage  pas  avec  son  acte  de  naissance... 

LARISETTE. 

C'est  un  tort  !  Comment  voulez-vous  que  je  sache  que 
c'est  vous,  puisque  vous  ne  pouvez  pas  me  prouver  que  c'est 
vous  qui  êtes  vous  ? 

VALENTIN. 

Mais,  gendarme,  quand  je  vous  prouverais  que  c'est  moi 
qui  suis  moi,  à  quoi  ça  vous  avancerait-il  ? 


106  Ombres  chinoises 

LARISETTE. 

Ça  m'avancerait  à  avoir  de  l'avancemeQt,  parce  que 
j'aurais  fait  mon  devoir. 

VALENTiN,  à  part. 

Ce  gendarme  est  stupide  !  Gomment  lui  faire  comprendre 
que  peut-être  en  ce  moment  on  assassine  un  homme. 
(Haut.)Ecoutez,  gendarme,  vous  persistez  à  vouloir  m'arrê- 
ter? 

LARISETTE. 

Je  ne  persiste  pas,  je  vous  arrête  préalablement  et  je  vais 
vous  conduire  au  poste. 

VALENTIN. 

Ça  c'est  autre  chose.  Je  suis  très  fort  et  je  ne  vous 
engage  pas  à  vous  frotter  à  moi. 

LARISETTE. 

De  la  rébellion  !  Très  bien  !  Je  vais  chercher  un  cama- 
rade. 

VALENTIN. 

Eh  bien,  soit!  Votre  camarade  sera  peut-être  plus 
intelligent  que  vous. 

LARISETTE,  (à  part.) 

De  ce  côté,  il  m'a  dit  qu'il  y  avait  des  assassins,  par 
conséquent,  comme  il  doit  tenir  à  sa  peau,  il  ne  se  sauvera 
pas  par  là.  De  ce  côté  c'est  la  gendarmerie,  il  ne  se 
risquera  pas  par  là  non  plus.  Il  est  donc  évident  que  je  vais 
le  retrouver  ici  tout  à  l'heure.  (Il  sort.) 

SCÈNE  V 

VALENTIN. 

Que   faire   avec  un  pareil  imbécile!  Et  dire,  qu'en  ce 


Le  crime  de  Saint-Just  i07 

moment-ci,  les  assassins  aiguisent  leur  coutelas...  Ils 
guettent  la  victime,  ils  vont  l'immoler...  Je  sais  cela,  moi  ! 
Et  je  ne  puis  rien  faire  I  Ah  !  je  suis  navré,  navré,  navré  ! 
Ah  ça,  mais  je  n'y  comprends  plus  rien  !  Le  crime  que 
j'attendais  ne  se  perpètre  pas.  L'auraient-ils  remis  à 
huitaine,  comme  on  dit  dans  les  tribunaux  ?  Ou  bien  la 
victime  n'est-elle  pas  présente?  Que  supposer?  Je  n'entends 
aucun  bruit,  l'heure  n'est  peut-être  pas  sonnée.  {A  ce 
moment  l'horlogi  du  village  sonne  six  heures.) 


SCÈNE  VI 
VALENTIN,  BEDONNET. 

BEDONNET,  entrant. 

Six  heures  I  Et  mon  dîner  est  à  huit  heures  î  Dutripard 
aura  oublié  ma  commande  !  Ce  n'est  pas  possible  !  Ce 
serait  la  première  fois.  Quand  un  charcutier  a  l'honneur 
d'être  le  fournisseur  de  l'honorable  Bedonnet,  juge  de  paix 
de  S'-Just,  ci-présent,  il  doit  avoir  un  zèle  qui  devance  les 
heures  ! 

VALENTIN,  à  part. 

Bedonnet?  Bedonnet,  oui!  C'est  bien  le  nom  de  la 
victime  que  ces  misérables  ont  imprudemment  proféré... 
Bedonnet  ! 

BEDONNET. 

Je  les  connais  !  Dutripard  est  un  fieffé  paresseux  et 
Veaupiqué,  son  premier  clerc,  ne  vaut  pas  mieux  que  lui  ; 
\ls  sont  capables  de  s'être  attardés  au  cabaret  et  de  m'a  voir 
oublié. 

VALENTIN,  à  part. 

Bedonnet  î  C'est  la  future  victime  ! 


108  Ombres  chinoises 

BEDONNET. 

C'est  que  je  traite  ce   soir  mon  confrère  de  Pont-de- 
Bonne...  Il  adore  le  boudin  et  je  le  sais  si  gourmand  qu'il 
me  ferait  mauvaise  mine  si  je  ne  lui  en  offrais  pas. 
VALENTIN,  à  part. 

Gela  me  fait  pitié  !  Ce  juge  de  paix  qui  va  tranquille- 
ment à  l'abattoir  !  C'est  horrible  !  Et  cet  homme  a  une 
bonne  nature;  il  veut  régaler  un  de  ses  confrères  et,  dans 
cinq  minutes,  peut-être... 

BEDONNET. 

Allons  activer  ces  paresseux. 

VALENTIN,  à  Bedonnet. 
Pardon,  Monsieur  le  juge,  je  voudrais  vous  dire  deux 
mots. 

BEDONNET. 

Je   n'ai  pas  le  temps  !  Venez  à  mon  audience,  je  vous 
écouterai. 

VALENTIN. 

Mais,  Monsieur  le  juge,  c'est  très  pressé,  je  vous  en  prie, 
laissez-moi  vous  parler. 

BEDONNET. 

Vous  écouter,  à  cette  heure  ?  Vous  n'y  songez  pas,  c'est 
impossible  !  D'abord  je  ne  vous  connais  pas  !  Et  puis  il  y  a 
des  formalités  à  remplir.  Si  j'écoutais  tout  le  monde  dans 
la  rue,  je  n'aurais  personne  à  mon  audience.  Ma  dignité  ne 
me  permet  pas  de  faire  des  passe-droit.  —  Je  vais  vous 
indiquer  la  marche  que  vous  devez  suivre  :  —  Vous  allez 
m'adresser  une  demande  d'audience  sur  papier  timbré  ;  je 
l'étudierai  et  je  la  passerai  ensuite  à  mon  greffier  qui  la 
classera.  Au  bout  de  huit  jours,  vous  recevrez  une  lettre 
d'admission  à  mon  audience  et  vous  passerez  à  votre  tour. 
Je  suis  un  juge  intègre  et  ne  fais  rien  par  faveur. 


Le  crime  de  Saint-Jast  109 

VALENTIN. 

Ceci  fait  votre  éloge,  Monsieur  Bedonnet,  mais  je  ne 
demande  pas  d'audience. 

BEDONNET. 

Alors  que  me  demandez-vous  ? 

VALENTIN. 

Rien  !  Je  veux  vous  sauver  d'un  grand  péril.  Vous  êtes 
bien  M.  Bedonnet? 

BEDONNET. 

Sans  doute  ! 

VALENTIN,  montrant  la  charcuterie. 
Eh  bien,  n'entrez  pas  dans  cette  maison. 

BEDONNET. 

N'entrez  pas?  Vous  me  donnez  des  ordres  I  Monsieur  !  C'est 
moi  qui  en  donne  et  je  n'en  reçois  jamais!  Laissez-moi! 
VALENTIN,  à  part. 

Il  est  aussi  entêté  que  le  gendarme.  {Haut.)  Je  vous  en 
prie,  Monsieur  Bedonnet... 

BEDONNET,  avcc  hautcur. 
Assez,  Monsieur  !  Je  sais  ce  que  j'ai  à  faire. 

VALENTIN,  à  part. 
Allons!  Je  n'ai  plus  qu'une  ressource  :  Aller  à  la  gendar- 
merie et  ramener  tous  les  gendarmes  pour  empêcher  un 
malheur!  (Il  sort.) 

SCÈNE  VII 
BEDONNET,  puis  DUTRIPARD. 

BEDONNET. 

Ah  ça  1  Est-ce  que  cet  inconnu  voudrait  m'empêcher  de 

7 


110  Ombres  chinoises 

manger  du  boudin  !  Ce  serait  un  peu  fort  !  (Allant  à  la 
charcuterie  et  appelant.)  Maître  Dutripard  I  Maître  Du- 
tripard  ! 

DUTRIPARD,  entrant. 
Ah  I  Monsieur  le  juge  ! 

BEDONNET. 

On  dirait,  Maître  Dutripard,  que  vous  m'ave»  oublié? 

DUTRIPART. 

Bien  au  contraire,  monsieur  le  Juge,  je  m'occupe  de 
vous. 

BEDONNET. 

Comment  se  fait-il  que  ma  commande  ne  soit  pas  prête  ? 

DUTRIPARD. 

Ne  craignez  rien,  vous  l'aurez  à  temps  pour  votre  diner. 

BEDONNET. 

Je  n'en  crois  rien,  maître  Dutripard. 

DUTRIPARD. 

Si  Monsieur  le  Juge  voulait  bien  venir  avec  moi.  J'aurais 
l'honneur  de  la  préparer  devant  lui. 

BEDONNET. 

Hum  I  Hum  I  Comme  juge,  je  ne  devrais  peut-être  pas 
vous  suivre,  mais  comme  simple  particulier,  je  veux  bien 
condescendre  à  cette  vérification.  (Ils  entr^ent  dans  la 
maison.) 

SCÈNE  YIII 
VALENTIN,   LARISETTET. 

VALENTIN. 

Venez  !  Venez  !  11  sera  peut-être  trop  tard. 


Le  crime  de  Saini-Just  iil 

LARISETTE. 

Ah  ça,  mais  vous  n'avez  pas  bientôt  fini  de  me  faire 
courir  comme  ça?  Vous  oubliez  que  j'ai  des  bottes  neuves. 

VALENTIN. 

Il  s'agit  bien  de  bottes  !  la  victime,  c'est  Monsieur 
Bedonnet,  votre  juge.  Il  est  là  dans  la  maison.  Entrons  ! 
Nous  pourrons  peut-être  le  sauver  ! 

LARISETTE. 

N'allons  pas  si  vite  ;  tout  cela  n'est  pas  clair  !  Voyons, 
vous  dites  que  le  juge,  M.  Bedonnet,  est  assassiné? 

VALENTIN. 

Non,  pas  encore  ! 

LARISETTE. 

Eh  bien,  il  faut  attendre. 

VALENTIN. 

Mais  non,  malheureux  !  Il  ne  faut  pas  attendre.  Quand  le 
crime  sera  commis,  il  sera  trop  tard  !  Entrons  ! 

LARISETTE. 

Pardon  !  Je  connais  mes  devoirs,  je  n'ai  pas  le  droit  de 
violer  un  domicile. 

VALENTIN. 

Ah  !  quelle  tête  carrée  !  Eh  bien,  restez  là,  j'entre  sans  vous. 

LARISETTE. 

Je  vous  le  défends  !  Vous  êtes  mon  prisonnier. 

VALENTIM. 

Prenez  garde  !  Je  vous  rends  responsable  de  ce  qui  va 
vous  arriver.  {On  entend  des  cris  dans  la  maison.)  Malheu- 
reux !  Le  crime  est  consommé  ! 

LJkRlSETTE. 

Maintenant  je  connais  mon  devoir  !  Ces  cris  sont  sédi- 


112  Ombres  chinoises 

lieux.  Je  vais  faire  la  perquisition.  Je  vous   autorise  à 
m'accompagner.  {Il  entre  dans  la  maison.) 
VALENTiN,  accablé. 
Maintenant,  c'est  bien  inutile. 

SCÈNE  IX 
VALENTIN,  puis  BEDONNET. 

VALENTIN. 

C'est  horrible!  Et  dire  que  j'ai  tout  fait  pour  empêcher 
cela  ! 

BEDONNET,  entrant. 

Maintenant  je  suis  rassuré.  Mon  dîner  n'est  pas  com- 
promis. 

VALENTIN. 

Vous  ici  !  Vivant  1 

BEDONNET. 

Ah  ça,  mais  Monsieur,  vous  m'en  voulez,  je  crois.  Je  suis 
vivant  et  bien  vivant  et  n'ai  jamais  été  malade. 

VALENTIN. 

Dieu  soit  loué!  Et  comment  en  avez-vous  réchappé? 

BEDONNET. 

Réchappé  ?  de  quoi  ?  Qu'est-ce  que  vous  voulez  dire  ? 

VALENTIN. 

Alors  vous  avez  été  le  plus  fort  ?  Cependant  ils  étaient 
deux. 

BEDONNET. 

Comment  deux  ?  Je  n'en  ai  vu  qu'un  —  Mais,  au  fait,  de 
quel  droit  m'interrogez-vous?  Et  d'abord,  je  ne  vous 
connais  pas,  qui  êtes- vous  ? 


Le  crime  de  Saint- Just  113 

VALENTIN. 

Qui  je  suis?  Mais  un  pauvre  touriste  qui  a  été  dévalisé 
par  ces  brigands  ! 

BEDONNET. 

Quels  brigands? 

VALENTIN. 

Ceux  à  qui  vous  venez  d'avoir  affaire. 

BEDONNET,  à  part. 
Il  est  fou  !  A  moins  que  ce  ne  soit  une  ruse  pour  dépister 
la  Justice.  {Haut)  Montrez-moi  vos  papiers  ? 

VALENTIN. 

Mes  papiers?  C'est  une  manie  dans  ce  pays-ci.  Voyons  ! 
Comment  voulez- vous  que  je  vous  montre  mes  papiers 
puisque  vos  assassins  me  les  ont  pris? 

BEDONNET. 

Mes  assassins  !  Mais  je  ne  suis  pas  assassiné  I  (à  part) 
Cet  homme  a  la  tête  dérangée  ! 

VALENTIN. 

Ils  ne  vous  ont  pas  assassiné,  c'est  vrai,  puisque  vous  me 
le  dites,  mais  ils  en  avaient  l'intention. 
BEDONNET,  à  part. 

C'est  une  manie!  mais  ça  n'est  pas  clair I  {Haut.)  Mon- 
sieur, ou  vous  êtes  sérieux  ou  vous  ne  l'êtes  pas.  Dans  le 
premier  cas,  vos  hallucinations  m'obligent  à  m'assurer  de 
votre  personne  ;  dans  le  second,  vous  vous  moquez  de  moi. 
De  toutes  façons,  mon  devoir  m'oblige  à  vous  arrêter. 
Gendarme!  Gendarme! 

VALENTIN. 

Ah  !  mais  non  !  Avec  celui-ci  et  ses  procédures,  je  reste- 
rais trop  longtemps  en  prison.  J'aime  mieux  m'en  aller  ! 
{H  sort.) 


H  4  Ombres  chinoises 


SCÈNE  X 
BEDONNET,   LARISETTE. 

BEDONNET. 

Gendarme I  Où  êtes-vous  Gendarme!  Arrêtez  cet  homme 
qui  court  !  Où  donc  êtes-vous  Gendarme  ?  (Il  court  autour 
de  la  scène.) 

Air  :  de  Cadet-Rousselle. 

Gendarme,  où  donc  vous  trouvez-vous  ? 
Est  c'que  vous  vous  moquez  de  nous  ? 
Me  voici  sens  dessus  dessous 
Et  je  vais  me  mettre  en  courroux. 
Comm'  le  cliien  de  Jean  de  Nivelle, 
N'entendez-vous  pas  quand  j'appelle. 

Ah!  vous  êtes  vraiment 
Un  gendarme  récalcitrant. 

LARisKTTE,  sortant  de  la  charcuterie. 
Qui  m'appelle?  Me  voici. 

BEDONNET. 

Où  étiez-vous  donc?  Je  vous  cherche  partout. 

LARISETTE. 

Mais,  Monsieur  le  Juge,  j'étais  en  train  de  vous  chercher. 

BEDONNET. 

De  me  chercher?  Quand  c'est  moi  qui  vous  cherche? 

LARISETTE. 

Alors  nous  nous  cherchions  tous  deux  !  Mais  dites-moi 
puisque  vous  êtes  vivant,  vous  n'êtes  donc  pas  mort? 

BKDONNET. 

Quelle  est  cette  plaisanterie,  Larisette?  Vous  aussi,  vous 
allez  me  la  faire  ! 


Le  crime  de  Saint- Jus t  115 

LARISETTE. 

Ce  n'est  pas  une  plaisanterie,  Monsieur  le  Juge,  moi  je 
croyais  que  c'était  fini,  sans  cela  je  ne  serais  pas  entré. 

BEDONNET. 

Fini!  Mais  quoi  fini? 

LARISETTE. 

L'assassinat  ! 

BEDONNET. 

Il  y  a  eu  un  assassinat? 

LARISETTE. 

Dame  !  Le  cri  que  vous  avez  jeté. 

BEDONNET. 

Moi  ?  J'ai  jeté  un  cri  ? 

LARlèETTE. 

Tout  à  l'heure. 

BEDONNET. 

Où  ça  ? 

LARISETTE. 

Dans  cette  maison. 

BEDONNET. 

Ici  ?  Mais  ce  n'est  pas  moi  qui  ai  crié. 

LARISETTE. 

Alors  qui  ça  ? 

BEDONNET. 

C'est  le  cochon  ! 

LARISETTE. 

Le  cochon  î  Quel  cochon  ? 

BEDONNET. 

Le  cochon  que  tuait  Dutripart  pour  me  faire  des  boudins 


116  Ombres  chinoises 

que  je  dois  manger  ce  soir  avec  mon  confrère  de  Pont  de 
Bonne. 

LARISETTE,    ahuH. 

Un  cochon,  Dutripard  !  des  boudins I  Votre  confrère... 
Mais  Monsieur  le  juge  de  paix,  où  est  l'assassin? 

BKDONNET. 

Il  n'y  a  pas  d'assassin,  puisque  personne  n'est  tué  que  le 
cochon.  Qui  est-ce  qui  vous  a  parlé  d'assassin  ? 

LARISETTE. 


BEDONNET. 


C'est  l'inconnu. 
Quel  inconnu? 

LARISETTE. 

Celui  qui  n'avait  pas  de  papiers. 

BEDONNET. 

Et  vous  ne  l'avez  pas  arrêté? 

LARISETTE 

Si  fait!  Je  l'ai  arrêté. 

BEDONNET. 

Et  où  est-il? 


LARISETTE. 


Il  devrait  être  ici. 


BEDONNET. 

Vous  voyez  bien  qu'il  n'y  est  pas  !  C'est  celui  qui  vient 
de  se  sauver.  Larisette,  mon  ami,  faites  bien  attention.  Vous 
vous  relâchez  depuis  quelque  temps  et,  en  vous  relâchant, 
voua  relâchez  les  prisonniers.  Nous  n'en  avons  cependant 
pas  beaucoup.  Si  vous  tenez  à  votre  position,  il  faut  me 
repincer  immédiatement  celui-là.  Je  rentre  chez  moi.  Je 
compte  que  vous   allez  remettre  la  main  dessus  et  me 


Le  crime  de  Saint-Just  H  7 

l'amener  avant  mon  dîner,  (i  part.)  Je  ne  serais  pas  fâché 
de  montrer  à  mon  confrère  de  Pont  de  Bonne  comment 
je  rends  la  justice.  (Il  sort.) 


SCÈNE  XI 
LARISETTE,  puis  VALENTIN. 

LARISETTE. 

II  vient  de  se  sauver!  C'est  impossible,  puisque  je  l'ai 
arrêté.  D'ailleurs,  comme  il  n'a  pas  de  papiers,  il  ne  peut 
aller  bien  loin.  Qu'est-ce  que  je  disais  ?  Le  voici  ! 

VALENTIN,  entrant  des  papiers  à  la  main. 
Maintenant  je  suis  en  règle.  J'ai  été  trouver  le  maire,  qui 
m'a  donné  un  passeport  sur  ma  bonne  mine.  J'espère  qu'on 
va  me  laisser  tranquille. 

LARISETTE. 

Ah  !  Ah  !  Vous  voici.  Vous  cherchiez  à  vous  évader. 

VALENTIN. 

Moi  ?  Pourquoi  ?  C'est  inutile  !  Vous  ne  pouvez  pas 
m'arrêter  puisque  j'ai  des  papiers. 

LARISETTE. 

Des  papiers  ?  Voyons  ! 

VALENTIN,  montrant  des  papiers. 
Tenez!  C'est  un  passeport  en  règle  signé  par  votre  maire. 

LARISETTE,    Usant. 

Passeport,  c'est  exact,  délivré  au  sieur  Valentin.  Valentin 
c  est  vous  ? 

». 


1(8  Ombres  chinoises 

VALENTIN. 

Sans  doute,  c'est  moi  I 

LARISETTE. 

Qu'est-ce  qui  le  prouve  ? 

VALENTIN 

C'est  mon  passeport. 

LARISETTE. 

C'est  juste!  (A  part)  Le  quidam  est  en  règle,  mais  le 
juge  m'a  dit  de  le  lui  amener,  il  faut  l'arrêter  pour  un 
autre  motif. 

VALENTIN,  voulant  sortir. 

J'ai  bien  l'honneur  de  vous  saluer. 

LARISETTE. 

Un  instant  I  Tout  à  l'heure  ne  m'avez-vous  pas  dit  qu'on 
assassinait  quelqu'un? 

VALENTIN. 

Je  le  croyais  ! 

LARISETTE. 

Vous  avez  môme  ajouté  que  c'était  le  juge. 

VALENTIN. 

Certainement  ! 

LARISETTE. 

Vous  en  convenez  !  Eh  bien  je  vous  arrête  pour  diffama- 
tion. 

VALENTIN. 

Pour  diffamation  I  Comment  cela  ? 

LARISETTE. 

Sans  doute!  Ce  qu'on  tuait,  c'était  un  cochon.  Or  vous 
m'avez  dit  que  c'était  le  juge,  donc  vous  avez  pris  le  juge 


Le  crime  de  Saint-Jus t  119 

pour  un  cochon.  Je  vous  arrfite  et  je  vais  vous  conduire 
devant  lui. 

VALENTIN,  riant. 
Ah!   Ah!  Ah!  Ma  foi,  je  veux  bien,  gendarme!  C'est 
trop  drôle  !  J'espère  que  le  juge  sera  moins  sévère  que  vous 
et  qu'il  me  mettra  en  liberté  ! 


(Rideau.) 


VII 


LES  PAPILLONS  DE  FAKCKETTE 


Fanchette. 

La  Fée  des  Fleurs. 

Rosa. 

Marguerite. 

Bleuette. 

Coqueliquette. 

DÉCOR 

Une  clairière  dans  une  forôt.  —  Arbres. 

Les  papillons  seront  faiU  avec  du  papier  ou  de  la  carte 
légère,  ils  seront  fixés  sur  des  fils  d'archal. 

COSTUMES 

Fanchette,  Jeune  paysanne. 

La  Fée  des  Fleurs,  Vieille  femme  couverte  d'un  vieux 

manteau. 
La  Fée  des  Fleurs,  Costume  de  fée. 
Rose, 

„,      ^^       '        )  Costumes  de  jeunes  filles. 
Bleuette,  '  * 

Coqueliquette, 


Les    Papillons   de    Fanchette 

FÉERIE  EN   UN  ACTE 


PERSONNAGES 

FANCHETTE. 

La  Fée  des  Fleurs. 

ROSA. 

MARGUERITE. 

BLEUETTË. 

COQUELIQUETTE. 


<22  Ombres  chinoises 

SCÈNE  PREMIÈRE 

ROSE,  MARGUERITE,   BLEUETTE,  COQUELIQUETTE 

Elles  ddnsent  en  rond  en  chantant  et  des  papillons  voltigent 
sur  leurs  têtes.) 

RONDE 

AiR  :  Du  Poltron. 

N»  2  des  Chants  du  ^*  Age.  L.  Houssox. 


Dans  les  champs  quand  nous  rencontrons, 

Volant  sur  notr«  tête, 
Les  jolis  petits  papillons, 

Nous  nous  mettons  en  fête. 
Mais  jamais  nous  ne  les  prenons. 
Car  ils  sont  vraiment  très  mignons   gnons,  gnons. 

Volez  !  Volez  !  De  ci,  ne  là, 
Nulle  de  nous  ne  vous  prendra,  ra,  ra. 

II 

Allez  vous  placer  sur  les  fleurs 

Où  le  vent  vous  balance. 
Vous  avez  la  même  couleur 

Et  la  mêjne  élégance. 
Comme  elles,  nous  vous  épargnons 
Car  vous  êtes  vraiment  mignons,  gnons,  gnons. 

Volez  !  Volez  !  De  ci,  de  là, 
Nulle  de  nous  ne  vous  prendra,  ra,  ra. 

III 

0  papillons  éblouissants, 

Volez  dans  les  vallées, 
Vous  êtes  à  nos  yeux  d'enfants 
De  btUes  fleurs  ailées. 


Les  papillons  de  Fanchette  123 


Toujours  nous  vous  admirerons. 

Toujours  nous  vous  respecterons,  rons,  rons, 

Volez!  Volez!  De  ci,  de  là. 
Nulle  de  nous  ne  vous  prendra,  ra,  ra. 


SCÈNE  II 
Les  Mêmes,  FANCHETTE 

FANCHETTE. 

Oh  !  les  jolis  papillons  !  Et  les  belles  petites  filles.  Je 
voudrais  bien  jouer  avec  elles.  Tiens  1  je  vais  me  présenter 
moi-même.  Bonjour,  Mesdemoiselles,  moi  je  m'appelle 
Fanchette,  comment  vous  appelez  vous  ? 

ROSE. 

Moi,  je  m'appelle  Rose. 

MARGUERITE. 

Et  moi,  Marguerite. 

BLEUETTE. 

Et  moi,  Bleuette. 

COQUELIQUETTE. 

Et  moi,  Goqueliquette. 

FANCHETTE. 

Oh!  les  jolis  noms!  Vous  n'êtes  pas  du  village?  Où 
demeurent  vos  parents  ? 

ROSE. 

Nous  n'avons  pas  de  parents. 

FANCHETTE. 

Quoi  I  Jamais  une  mère  ne  vous  a  embrassées  avant  de 
vous  endormir  ? 

MARGUERITE. 

Jamais  nous  n'avons  reçu  de  baiser  et  jamais  nous  n'en 
avons  donné. 


124  Ombres  chinoises 

FANCHETTE. 

Mais  où  demeurez-vous  ? 

BLEUETTE. 

Dans  les  villages  voisins.  Moi  je  suis  de  Saint-Saturnin 
où  l'on  fait  de  bonnes  galettes.  Rose  est  de  Saint-Jean  où 
l'on  prépare  si  bien  la  crème  ;  Marguerite  est  de  Saint- 
Nicolas  où  sont  les  meilleurs  fruits  ;  et  Coqueliquette  est  de 
Saint-Martin  où  l'on  recueille  le  bon  miel.  Les  gens  de  ces 
villages  sont  bons  pour  nous,  ils  nous  logent  dans  leurs 
granges  le  soir  quand  nous  rentrons,  et  chaque  malin  ils 
nous  donnent  la  nourriture  de  la  journée  que  nous  venons 
partager  ensemble  ici. 

COQUELIQUETTE. 

Oh  I  nous  sommes  très  heureuses  ! 

FANCHETTE. 

Comment  pouvez-vous  l'être,  si  vous  n'avez  pas  de 
mère  ? 

BLEUETTE. 

Une  mère  ?  Qu'est-ce  que  cela  ? 

Air    de    Joseph. 
FANCHETTE 

Une  mère,  c'est  la  tendresse, 
Le  baiser  au  déclin  du  jour, 
C'est  la  réchauffante  caresse 
D'un  grand  cœur  pénétré  d'amour. 
On  aime  cette  chère  idole 
Qui  de  sou  côté  vous  chérit. 
Pleurez-vous  ?  Elle  vous  console, 
Souffrez-vous  ?    Elle  vous  guérit  ! 

ROSE. 

Personne  ne  nous  parle  ni  ne  nous  embrasse  que  nos 


Les  papillons  de  Fanchette  125 

amies.  Mais  nous  nous  aimons  bien  et  cela  nous  suffît. 
Allons,  venez  danser  avec  nous  !  Voici  nos  papillons  qui 
nous  appellent. 

FANCHETTE. 

Comment  faites-vous  donc  pour  apprivoiser  ainsi  les 
papillons  ? 

ROSE. 

Nous  ne  les  apprivoisons  pas,  ce  sont  nos  petits  compa 
gnons,  ils  nous  suivent  partout. 

FANCHETTE. 

Pourquoi  donc  ne  me  suivent-ils  pas,  moi  !  Quand  je 
m'approche  d'eux,  ils  se  sauvent,  pourtant  je  ne  leur 
ferais  pas  de  mal. 

ROSE. 

Çà,  nous  ne  savons  pas  I  (On  entend  un  appel  de  corne.) 

FANCHETTE. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  cela  ? 

ROSE. 

C'est  l'appel  de  l'école.  Tous  les  jours,  à  la  même  heure, 
cette  corne  nous  avertit  que  nous  devons  cesser  de  jouer  et 
nous  rendre  près  de  notre  maîtresse  qui  nous  donne  des 
leçons.  Reste  ici,  nous  reviendrons  bientôt.  (Les  quatre 
jeunes  filles  sortent  au  milieu  d'un  nuage  de  papillons.) 

SCÈNE  III 

FANCHETTE. 

Me  voilà  encore  seule  !  Ce  sont  ces  vilains  papillons  qui 
m'ont  égarée!  Quand  je  dis  vilains,  jolis  au  contraire, mais 
ils  m'ont  fait  perdre  de  vue  Noiraude,  ma  vache.  Où  la 
retrouver  dans  cette  forêt  ?  Je  ne  puis  pourtant  pas  rentrer 


126  Ombres  chinoises 

à  la  maison  sans  ma  vache  !  De  quel  côté  me  diriger  ?  Je 
ne  sais  pas  où  je  suis.  Ces  jeunes  filles  et  ces  papillons 
m'ont  troublée  profondément. 

SCÈNE  IV 

FANCHETTE.  La  Fée  vêtue  en  vieille  entre  lentement. 

FANCHETTE. 

Mais  quelle  est  cette  vieille  femme  qui  s'avance  lente- 
ment. 0  mon  Dieu!  Elle  pleure  à  chaudes  larmes  !  Tâchons 
de  savoir  ce  qui  cause  son  chagrin.  (S'approchant  de  la 
fée.)  Qu'avez-vous  ?  brave  femme.  Pourquoi  pleurez-vous 
ainsi?  Contez-moi  vos  peines.  Peut-être  pourrai-je  vous 
consoler. 

LA  FÉE. 

Ma  pauvre  enfant,  vous  n'y  pouvez  rien.  Mon  chagrin 
est  éternel,  car  je  suis  immortelle  et  mon  destin  est  de 
pleurer  toujours! 

FANCHETTE. 

Immortelle  î 

LA  FÉE. 

Oui.  Je  suis  une  fée.  Ah  !  si  vous  m'aviez  connue  autre- 
fois! J'étais  jeune,  j'étais  jolie,  aimée  et  admirée  de  tous  ; 
on  me  nommait  la  Fée  des  fleurs  !  Je  suis  la  Fée  des  pleurs, 
maintenant. 

FANCHETTE 

—  Que  vous  est-il  donc  arrivé  ? 

LA    FÉE 

—  Approchez-vous  de  moi,  je  vais  vous  raconter  mon 
histoire.  Dans  le  monde  des  Fées,  mon  enfant,  on  a  beau- 


Les  papillons  de  Fanchette  427 

coup  de  puissance,  mais  on  a  aussi  beaucoup  de  devoirs  et, 
quand  on  les  oublie  une  seule  fois,  la  punition  est  cruelle. 
J'étais  donc  la  Fée  des  fleurs  et  ma  fonction  était  de  les 
faire  éclore  ;  pour  cela,  je  devais  sans  cesse  leur  donner 
l'eau  qui  les  fait  vivre.  Cette  besogne  était  très  assujettis- 
sante, mais  J'avais  avec  moi  une  servante  qui  s'appelait  La 
Rosée  et  qui  m'aidait   dans  mon  travail.  Elle  était  très 
paresseuse,  et,  chaque  matin,  je  devais  la  réveiller  pour 
qu'elle  allât  dans  les  champs.  Alors  elle  se  levait  de  mau- 
vaise humeur  et  se  mettait  à  pleurer  avec  une  telle  abon- 
dance que  ses  larmes  suffisaient  pour  arroser  les  fleurs. 
Un  jour,  jour  fatal  !  je  dormis  plus  longtemps  que  d'habi- 
tude et  j'oubliai  de  réveiller  La  Rosée.  Quand  j'ouvris  les 
yeux,  je  vis  toutes  mes  pauvres  fleurs  qui  penchaient  la 
tête,  leurs  pétales  jonchaient  la  terre,  leurs  tiges  étaient 
sèches,  elles  se  mouraient.  Vite,  je  pris  un  arrosoir  pour 
réparer  ce  désastre;  je  suppliai  un  gros  nuage  noir  qui 
passait  de  se  répandre  sur  la  terre,  mais  il  était  trop  tard. 
La  Reine  des  Fées  faisait  en  ce  moment  sa  ronde,  le  nuage 
avait  fui  à  son  approche  et  je  frémis  en  songeant  à  la 
punition  qu'elle  allait  m'infliger. 

FANCHETTE, 

0  mon  Dieu  !  Et  alors  ? 

LA   FÉE. 

Alors  je  baissai  la  tête  et  la  Reine  des  Fées  prenant  sa 
grosse  voix  me  dit  :  a  Je  t'avais  donné  la  garde  de  mes 
fleurs  et  tu  les  as  laissées  mourir,  tu  seras  punie.  Tu  étais 
jeune,  tu  vas  devenir  vieille,  tu  étais  jolie,  tu  seras  laide, 
et  comme  c'est  par  le  manque  d'eau  que  ces  fleurs  ont  été 
détruites,  je  te  condamne  à  pleurer  éternellement.  »  Au 
même  instant,  je  devins  comme  vous  me  voyez  mainte- 
nant et  la  Reine  des  Fées  passa  sans  me  jeter  un  seul  re- 
gard. 


128  Ombres  chinoises 

FANCHETTE. 

Ah  !  C'est  affreux  !  Vous  voilà  donc  vieille  pour  tou- 
jours? Elle  ne  pardonnera  donc  jamais  ? 

LA   FÉE 

Si,  mais  pour  cela,  il  faudrait  un  hasard  inespéré;  il 
faudrait  que  je  pusse  retrouver  ces  pauvres  fleurs  dessé- 
chées par  ma  faute.  Où  sont-elles  maintenant? 

FANCHETTE 

Si  elles  sont  mortes,  vous  ne  les  retrouverez  pas. 

LA   FÉE 

Peut-être.  Il  faut  que  vous  sachiez  que  chaque  fleur  qui 
meurt  se  change  en  petite  folle  et  garde  son  nom.  J'en  ai 
vu  beaucoup,  mais  elles  fuyaient  à  mon  approche,  je  leur 
faisais  peur  !  Ah  1  si  elles  savaient  que  pour  faire  cesser 
mon  enchantement  il  me  suffirait  de  les  embrasser,  peut- 
être  me  tendraient-elles  leurs  joues. 

FANCHETTE 

Venez,  voici  la  mienne,  embrassez-moi. 

LA   FÉE 

Et  comment  vous  appelez-vous  ? 

FANCHETTE 

Fanchette. 

LA  FÉE 

Ce  n'est  pas  un  nom  de  fleur  et  vous  ne  pouvez  rien  pour 
moi.  Ah  !  Si  vous  vous  appeliez  Rose,  Marguerite,  ou  bien 
Bleuette  et  même  Goqueliquette,  qui  sont  les  noms  de  mes 
pauvres  victimes,  ce  serait  différent.  Mais  elles,  voudraient- 
elles  que  je  les  embrasse? 

FANCHETTE 

Oh  !  mais  alors,  je  viens  de  voir  des  petites  filles  qui  s'ap- 


i 


Les  papillons  de  Fauche tte  129 

pellent  ainsi  et  qui  jouaient  dans  cet  endroit  même  où  nous 
sommes,  je  vais  tâcher  de  les  retrouver  et  de  les  ramener 
ici,  alors  je  leur  dirai  de  vous  embrasser. 

LA   FÉE 

Si  vous  faisiez  cela,  chère  enfant,  vous  mériteriez 
d'être  fée. 

PANCHETTE 

En  attendant,  il  faut  que  je  retrouve  Noiraude  et  la 
rentre  à  la  maison.  Mais  je  ne  sais  pas  mon  chemin.  Ma 
chaumière  est  sur  la  lisière  de  la  forêt. 

LA   FÉE 

Je  vais  vous  y  conduire. 

FANCHETTE 

Merci,  bonne  fée  î  Mais  revenez  m'attendre  ici,  car  c'est 
ici  que  je  dois  retrouver  mes  petites  amies.  (Elles  sortent.) 


SCÈNE  V 

ROSE,  MARGUERITE,  BLEUETTE, 
COQUELIQUETTE. 

(Elles  rentrent  en  dansant,    toujours  suivies  par  les 
papillons) 

Air  de  la  Boulangère. 
1 

Les  papillons  sont  revenus 

Au  fond  de  la  clairière, 
Ils  ne  nous  abandonnent  plus 

Dans  leur  ronde  légère, 
Bien  plus, 

Ils  tâchent  de  nous  plaire. 


130  Ombres  chinoises 


îî 

Comme  vous,  c'est  la  liberté 

Et  c'est  l'indépendance 
Qui  nous  conserve  la  gaieté, 

Qui  convient  à  l'enfance, 
Gaieté 

Qui  bannit  la  souffrance! 

III 

Insectes  aux  mille  couleurs, 

A  nous  venez  sans  cesse. 
Remplacez  près  de  nous  les  fleurs 

Lorsque  l'hiver  les  blesse, 
Les  fleurs 

De  nos  yeux  la  caresse  ! 

ROSE 
Quelle  chance,  tout  de  môme  que  notre  maîtresse  ait  été 
malade,  nous  allons  pouvoir  jouer  toute  la  journée. 

MARGUERITE 

Malade!  Elle  n'est  pas  bien  malade!  C'est  un  prétexte 
qu'elle  prend  de  temps  en  temps  pour  se  débarrasser  de 
nous. 

BLKUETTE 

Tu  crois  ? 

ROSE 

Dame!  Elle  dit  qu'elle  a  mal  aux  dents,  et  elle  n'en  a 
plus. 

COQUELIQUETTE,    Hant. 

Ah!  ah!  ah  !  Comme  si  on  n'avait  plus  de  dents. 

ROSE 

Je  ne  sais  pas!  Moi,  j'ai  toutes  les  miennes. 

BLEUETTE 

Kh  bien,  moi,  j'en  ai  une  qui  remue  et  qui  me  fait  mal. 


Les  papillons  de  Fanchette  131 

la  maîtresse  m'a  dit  que  c'était  une  dent  de  sagesse,  mai» 
tout  de  même  elle  ne  m'a  pas  donné  un  bon  point. 

ROSE 

Un  bon  point!  Pour  la  sagesse,  ça  mérite  la  croix! 

MARGUERITE 

En  attendant,  reprenons  nos  jeux,  voici  nos  papillons 
qui  frétillent  autour  de  nous,  ils  n'aiment  pas  bien  à  nous 
voir  sérieuses. 

ROSE 

Ils  savent  bien  que  nous  sommes  comme  eux,  frivoles  et 
légères  ! 

COQUELIQUETTE 

Tiens  !  Voici  la  petite  Fanchette  qui  vient  de  ce  côté. 

BLIUETTE 

A  la  bonne  heure  1  Nous  allons  bien  nous  amuser.  Je 
l'aime  beaucoup  la  petite  Fanchette  ! 

MARGUERITE 

Et  moi  aussi  1  Fanchette  !  Fanchette  ! 

SCÈNE  VI 
Les  Mêmes,  FANCHETTE 

FANCHETTE 

Mes  petites  amies,  me  voilà  !  Je  suis  contente  de  vous 
retrouver. 

BLEUETTE 

Nous  aussi,  car  nous  t'aimons  beaucoup. 

COQUELIQUETTE 

Et  nous  t'attendions  pour  jouer  avec  nous. 


132  Ombres  chinoises 

FANCHETTE 

Oui,  nous  allons  jouer  ensemble,  mais  auparavant  je 
veux  vous  faire  une  confidence.  Toutes  les  quatre  vous 
m'avez  dit  que  vous  étiez  orphelines,  que  vous  n'aviez  pas 
de  mère 

ROSE 

C'est  vrai. 

FANCHETTE 

Donc,  vous  êtes  abandonnées?  Vous  êtes  seules  sur  la 
terre.  Vous  n'aimez  personne  ? 

BLEUETTE 

Si,  j'aime  mon  petit  mouton  ! 

COQUELIQUETTE 

Et  moi  mon  petit  serin  ! 

MARGUERITE 

Et  moi  mon  petit  chien  î 

ROSE. 

Et  moi,  mon  petit  chat. 

FANCHETTE. 

Sans  doute,  vous  les  aimez,  mais  eux  ! 

BLEUETTE. 

Oh  !  eux,  ils  nous  aiment  aussi. 

FANCHETTE. 

Oui,  le  mouton,  parce  que  vous  lui  donnez  de  l'herbe,  le 
serin  parce  que  vous  lui  donnez  du  mil,  le  chien  à  cause 
de  sa  pâtée  et  le  chat  à  cause  de  son  mou.  Privez-les  de 
nourriture  et  vous  verrez. 

ROSE. 

Où  voulez-vous  en  venir  ? 


Les  papillons  de  Fanchette  133 

FANCHETTK. 

Vous  souvenez- VOUS,  quand  je  vous  ai  rencontrées  tantôt, 
que  je  vous  ai  demandé  si  vous  aviez  une  mère  ? 

BLEUETTE. 

Non  !  ou  du  moins,  nous  ne  l'avons  jamais  connue. 

FANCHETTE. 

Eh  bien  vous  n'avez  pas  connu  ce  qu'il  y  a  de  meilleur 
au  monde.  Et  comme  je  vous  aime  beaucoup,  j'ai  cherché 
partout  et  fini  par  vous  trouver  votre  mère. 

MARGUERITE. 

Une  mèrel  Une  maman? 

FANCHETTE. 

Oui! 

ROSE. 

Et  comment  la  reconnaîtrons-nous  ? 

FANCHETTE. 

C'est-elle  qui  vous  reconnaîtra. 

BLEUETTE. 

Elle  ne  nous  a  jamais  vues. 

FANCHETTE. 

Une  mère  ne  se  trompe  jamais. 

COQUELIQUETTE. 

Alors  nous  allons  la  voir  I 

SCÈNE  VII 
Les  Mêmes,  La  Fée,  entrant.^ 

FANCHETTE. 

Tenez,  c'est  cette  vieille  femme  qui  va  vous  conduire 
près  d'elle. 

8 


134  Ombres  chinoises 

LA  FÉE. 

Oui,  mes  enfants.  Mais  pour  cela  il  faut  avoir  bien  con- 
fiance en  moi  et  faire  ce  que  je  vous  demanderai. 

ROSE. 

Que  faudra  t-îl  faire  ? 

BLEUETTE. 

G'est-il  bien  difficile  ? 

COQUELIQUETTE. 

Moi  d'abord  je  veux  bien  !  Il  me  semble  toujours  qu'il 
me  manque  quelque  chose.  J'aime  bien  mes  petites  amies, 
c'est  vrai,  je  ne  s  is  pas  ce  que  c'est  qu'une  maman,  mais 
il  me  semble  que  je.  l'aimerais  encore  mieux. 

LA  FÉE. 

Vous  devinez  bien. 

ROSE. 


Estelle  jeune  ? 
E.çt-elle  jolie? 


BLEUETTE. 


LA   FEE. 

Oui,  elle  est  jeune  et  jolie. 

COQUELIQUETTE,    à  part. 

J'avais  peur  que  ce  ne  fut  cette  vieille. 

MARGUERITE. 

Eh  bien,  montrez-nous  là. 

LÀ  FÉE. 

Le  grand  jour  l'éblouit.  Venez  avec  moi  sous  ces  arbres 
et  vous  la  reconnaîtrez. 

COQUELIQUETTE. 

Elle  nous  embrassera  ? 


Les  papillons  de  Fanchette  135 

ROSE. 

Allons,  je  me  risquai  moi  ! 

LA  FÉE,  sortant  avec  Rose. 
AUoQS  venez,  mignoDDe  ! 

SCÈNE  VIII 

Les  Mêmes,  moins  La  Fée  et  ROSE. 

COQUELIQUETTE. 

Si  elles  allaient  ne  pas  revenir  ? 

MAROUERITE. 

Il  me  semble  qu'elle  a  jeté  un  cri. 

BLEUETTE. 

Un  cri  !  On  lui  ferait  donc  du  mal  ?  Je  vais  voir. 

COQUELIQUETTE. 

Et  moi  aussi  !  (Elle  sort.) 

MARGUERITE. 

Et  moi  aussi.  (Elle  sort.) 

SCÈNE  IX 

FANCHETTE. 

Les  voilà  toutes  dans  le  bois  !  Que  se  passe-t-il  ?  Je  n'en- 
tends plus  rien  !  Pourquoi  mes  petites  amies  ne  reviennent- 
elles  pas  ?  Que  leur  est-il  arrivé  ?  Et  la  fée  ?  Qu'est-elle 
devenue?  Mon  Dieu  !  J'ai  peut-être  été  imprudente.  Si  cette 
vieille  femme  n'était  pas  une  fée  ?  Si  c'était  une  aventurière, 
une  de  ces  voleuses  d'enfants  comme  il  y  en  a  tant  dans  les 
campagnes  ?  (À  ce  moment  un  nuage  de  papillons  vient 


136  Ombres  chinoises 

l'envelopper  entièrement  et  du  milieu  se  dégage  une  jeune 
femme  très  jolie,  couronnée  de  fleurs  et  tenant  une  baguette 
blanche  à  la  main.) 

SCÈNE  X 
FANCHETTE,  La  Fée. 

LA  FÉE. 

Fanchette  I  Tu  peux  comprendre  maintenant  le  service 
que  tu  m'as  rendu.  Je  ne  suis  plus  la  vieille  de  tout  à 
l'heure.  J'ai  retrouvé  ma  jeunesse,  ma  beauté  et  ma  puis- 
sance. Parle,  que  puis-je  faire  pour  toi  ? 

FANCHETTE. 

Que  sont  devenues  mes  compagnes  ? 

LA  FÉE. 

Rassure-toi,  tes  compagnes  sont  heureuses...  Regarde  sur 
ma  tète  I  Voici  Rose,  Bleuette,  Coqueliquette  et  Marguerite. 
Tu  ne  les  verras  plus  sous  la  figure  humaine,  mais  tu  pourras 
vivre  et  causer  avec  elles.  Rose  t'apprendra  la  douceur, 
Pleuette  la  délicatesse,  Marguerite  te  donnera  des  bons 
conseils  et  Coqueliquette  t'enverra  de  jolis  songes.  Et  main- 
tenant que  désires  tu? 

FANCHETTE. 

Je  ne  les  reverrai  plus  I  Et  non  plus  sans  doute  ces  jolis 
papillons  qu'elles  savaient  apprivoiser. 

LA   FÉE. 

Si,  chère  enfant  !  La  fée  permet  de  cueillir  des  fleurs  et 
d'en  faire  des  gerbes.  Partout  où  tu  iras  avec  elles,  les  papil- 
lons te  suivront  et  se  poseront  dessus,  seulement  il  t'est 
défendu  de  les  prendre,  et  de  leur  faire  du  mal,  eux  aussi 


Les  papillons  de  Fanchetie  137 

sont  des  fleurs,  les  fleurs  de  l'air  et  tu  sais,  par  mon  exemple, 
comme  on  est  puni  quand  on  les  fait  mourir!  {A  et  moment 
les  papillons  envahissent  la  scène  etla  fée  disparaît  au  milieu 
du  nuage  qu'ils  forment  et  Fanchette  est  soudain  entourée 
d'une  gerbe  de  fleurs.) 


{Rideau.) 


W 


VIII 


L'ILE  DÉSERTE 


Robinson. 
Boulenbois. 
Le  Gendarme. 


DÉCOR 


A  droite,  cabane  de  feuillages  au  bord  de  la  mer. 
gauche,  palmiers. 


COSTUMES 


Robinson,  Costume  traditionnel.    Le  perroquet  sur 

l'épaule  seulement  à  la  première  scène. 
Boulenbois,  Veste,  chapeau  mou,  mise  débraillée. 
Le  Gendarme,  Costume  traditionnel. 


L'île  déserte 

COMÉDIE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 

ROBINSON. 
BOULENBOIS. 
Le  Gendarme. 


UO  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 

ROBINSON,  Le  Perroquet. 

ROBiNSON,  il  entre  couvert  de  peaux  de  bêtes,  il  a  un  grand 
chapeau  pointu  en  feuilles  de  palmier,  une  carabine  à  la 
main,  et  sur  l'épaule,  un  perroquet. 

LE    PERROQUET. 

Bonjour  Coco  ! 

ROBINSON. 

Bonjour,  mon  ami  !  Car,  au  bout  du  compte,  Coco,  c'est 
moi  !  Et  quel  drôle  de  coco,  si  tu  savais  1  Quand  j'étais  en 
Angleterre,  il  n'y  avait  pas  de  gentleman  plus  élégant  que 
moi  ;  j'étais  tiré  à  quatre  épingles,  coiffé  à  neuf  reflets, 
ganté  de  chevreau  fin,  chaussé  de  veau  verni  ;  tout  le 
monde  se  détournait  pour  me  voir  passer  et  disait  :  quel 
beau  gentleman  I  Que  tu  traduis  dans  ton  langage  d'oiseau 
par:  quel  joli  Coco!  Mais  ce  beau  temps  est  passé!  J'ai 
voulu  faire  fortune,  je  me  suis  embarqué,  j'ai  couru  les 
mers,  j'ai  fait  naufrage  et  je  me  suis  réfugié  sur  cette  île 
déserte  où  depuis  cinq  ans,  je  n'ai  d'autre  conversation 
qu'avec  toi,  mon  pauvre  ami. 

LE  PERROQUET. 

Bonjour  Coco  I 

ROBINSON. 

Oui  !  Bonjour  Coco  !  Ce  n'est  pas  bien  varié,  mais  c'est 
tout  ce  que  tu  sais  dire.  En  ce  moment-ci,  bonjour  Coco, 
signifie  je  voudrais  bien  manger  !  Eh  bien,  je  vais  te 
mettre  sur  ton  perchoir  où  tu  trouveras  tout  ce  qui  te  fera 
plaisir.  [Roulement  de  tonnerre.)  Tiens  !  tiens  I  II  fait  de 
l'orage  !  ïu  n'aimes  pas  beaucoup  la  pluie,  mon  Coco,  nous 


Uîle  déserte  141 


allons  rentrer.  (Il  rentre  dans  la  cabane.  A  ce  moment  on 
entend  un  coup  de  tonnerre  formidable  et  Von  voit  sur  la 
mer  un  navire  qui  se  brise  sur  les  rochers.  En  même  temps, 
du  côté  opposé  à  la  cabane,  arrive,  venant  de  la  grève,  un 
gendarme  tenant  un  prisonnier  enchaîné.) 

Air  du  Corbeau. 
N*  11  des  Chants  du  i"  Age'.  L.  Houssot. 

Bonjour,  mon  Coco, 
Mon    compagnon  de  misère, 

Toi  seul  sur  la  terre 
Des  oiseaux  est  le  plus  beau. 

Rien  n'est  plus  brillant, 
Mon  Coco,  que  ton  plumage 

Et  sur  ton  visage 
Ton  bec  noir  est  insolent. 

REPRISE. 


SCÈNE  II 
'  Le  Gendarme,   BOULENBOIS. 

le  gendarme. 
Voyons  !  Voyons!  Ne  tirez  pas  sur  la  corde.  Je  vous  tiens 
bien  ;  vous  ne  vous  échapperez  pas.  C'est  un  petit  naufrage. 
Sur  mer,  il  faut  s'attendre  à  tout.  Mais  ce  n'est  pas  une 
raison  pour  vous  sauver. 

BOULENBOIS. 

Oui,  mais  le  naufrage  n'était  pas  dans  le  programme. 

LE   GENDARME. 

C'est  vrai  !  Mais  c'est  un  cas  de  force  majeure. 


142  Ombres  chinoises 


B0ULENB0I8. 

Mais  si  j'étais  tombé  à  l'eau  ? 

LE   GENDARME. 

Je  m'y  serais  jeté  à  mon  tour  et  je  vous  aurais  repêché. 

BOULENBOÎS. 

Vous  êtes  féroce  ! 

LE  GENDARME. 

Nullement  !  Je  suis  gendarme  I 

BOULENBOIS. 

Alors,  où  me  conduisez-vous  ? 

LE   GENDARME. 

Je  ne  sais  pas  encore,  je  ne  connais  pas  le  pays.  Mais 
nous  allons  en  prendre  connaissance.  Tout  d'abord,  je  crois 
que  nous  sommes  échoués  sur  une  île. 

BOULENBOIS. 

A  quoi  voyez-vous  ça  ? 

LE    GENDARME. 

A  ce  que  cette  terre  est  entourée  d'eau. 

BOULENBOIS,  à  part. 
C'est  bon  à  savoir. 

LE  GENDARME, 

Et  je  suppose  aussi  que  cette  terre  n'est  pas  habitée,  vu 
que  je  ne  vois  aucun  habitant. 

BOULENBOIS. 

S'il  en  est  ainsi,  gendarme,  laissez-moi  vous  faire  un  petit 
raisonnement. 

LE  GENDARME. 

Raisonnez  !  Raisonnez  tant  que  vous  voudrez  ! 


Uîle  déserte  143 


BOULENBOIS. 

Est-ce  que  ça  vous  amuse  de  me  tenir  ainsi  au  bout  d'une 
ficelle  ? 

LE   GENDARME. 

Oh  !  sapristi  non  !  Mais  c'est  ma  consigne. 

BOULENBOIS. 

Votre  consigne  est  de  ne  pas  me  laisser  échapper. 

LE   GENDARME. 

Précisément. 

BOULENBOIS. 

Mais  elle  n'est  pas  de  me  faire  du  mal. 

LE   GENDARME. 

Non  !  Je  dois  même  empêcher  qu'on  vous  en  fasse. 

BOULENBOIS. 

Eh  bien,  il  faut  m'enlever  cette  corde  qui  me  brise  les 
poignets  ? 

LE   GENDARME. 

Oh  !  ça,  c'est  impossible  !  Ce  serait  vous  mettre  en  liberté 
et  vous  êtes  prisonnier.  Cette  corde,  si  j'ose  m'exprimer 
ainsi,  c'est  une  prison  extérieure. 

BOULENBOIS. 

Mais  la  prison  extérieure  est  cette  ile  de  laquelle,  ni  vous 
ni  moi  ne  pouvons  sortir  et  qui,  par  dessus  le  marché  est 
déserte,  ce  qui  veut  dire  qu'elle  ne  possède  aucun  habitant. 
Donc,  je  ne  puis  faire  de  mal  à  personne,  puisqu'il  n'y  a 
personne  ici  et  je  ne  puis  pas  me  sauver,  puisque  l'île  est 
isolée.  Comme  vous  dites  :  c'est  une  prison  extérieure. 

LE   GENDARME. 

J'ai  eu  tort,  je  le  vois,  de  me  servir  de  cette  circonlocu- 
tion, mon  devoir  est  de  vous  conduire  en  prison. 


144  Ombres  chinoises 

BOULENBOIS. 

Eh  bien  I  menez-moi  en  prison. 

LE  GENDARME. 

Je  ne  pense  pas  qu'il  en  existe  une  ici. 

BOULENBOIS. 

Alors,  vous  ne  faites  pas  votre  devoir. 

LE   GENDARME. 

Ce  n'est  pas  vous  qui  me  l'apprendrez,  mon  devoir  I 
Maintenant  motus!  Restez  tranquille! 

BOULENBOIS. 

Si  je  veux  f 

LE  GENDARME. 

Ah  !  ah  !  Vous  vous  rebiffez  ? 

BOULENBOIS. 

Au  bout  du  compte,  je  suis  bien  sot  de  me  laisser  faire. 
Nous  voici  dans  un  pays  éloigné  de  toute  civilisation.  Il 
n'y  a  ni  pouvoir,  ni  justice,  ni  armée,  ni  police,  ni  sergents 
de  ville,  ni  Conseil  municipal,  ni  députés,  ni  sénateurs, 
personne  enfin  de  supérieur  à  moi,  un  simple  effort  et  je 
suis  libre.  (Il  se  détache.)  Allons-y. 

LE  GENDARME. 

Que  faites-vous  ? 

BOULENBOIS. 

Je  prends  ma  liberté  et  je  vous  rends  la  vôtre. 

LE   GENDARME. 

Au  secours  !  Au  secours  !  A  moi  ! 

BOULENBOIS. 

Taisez- vous  !  Vous  allez  émeuter  tout  le  quartier  et 
réveiller  les  bêtes  féroces,  s'il  y  en  a  ici. 


Uîle  déserte  145 


LE   GENDARME. 

Les  bêtes  féroces  !  C'est  vous  I  Au  secours  ! 


SCÈNE  III 
Les  Mêmes,  ROBINSON. 

robinson. 
Qu'est-ce  qu'il  y  a?  Un  étranger?  Deux  étrangers?  Mon 
île  est  envahie? 

LE  GENDARME. 

Monsieur  !  Prêtez-moi  main  forte  !  Cet  homme  est  un 
brigand,  un  voleur,  un  assassin,  je  ne  sais  pas  ce  qu'il  est, 
cependant  il  est  plus  qu'un  accusé,  c'est  un  condamné  que 
j'étais  chargé  de  conduire  au  pénitentiaire  des  îles.  Moi  je 
suis  un  gendarme. 

ROBINSON. 

Jo  io  vois  bien.  Mais  il  n'y  a  rien  à  faire  pour  vous  ici. 
il  n'y  a  pas  de  prison.  Laissez  donc  aller  votre  prisonnier. 
Quand  il  aura  fait  le  tour  de  l'île,  il  sera  bien  obligé  de 
revenir  ici.  Car  il  ne  trouvera  rien  à  manger,  nulle  part, 
que  dans  ma  cabane. 

LE   GENDARME. 

Faites  donc  comme  vous  voulez,  moi  je  m'en  lave  les 
mains.  Seulement  je  vous  fer.'â  observer  que  c'est  la  pre- 
mière fois  que  je  manque  à  mon  devoir.  (A  Boulenbois.) 
Eh  bien,  que  faites-vous  ici,  vous  n'avez  donc  pas  compris 
ce  que  je  viens  de  dire.  Fichez  donc  le  camp  ! 

BOULENBOIS. 

C'est  vrai  !  J'oubliais.  Faites  excuse  f  (Il  sort.) 


146  Ombres  chinoises 


SCÈNE  IV 
KOBINSON,   Le  Gendarme. 

LE   GENDARME. 

Maintenant  que  nous  l'avons  laissé  aller,  je  m'aperçois 
que  vous  m'avez  fait  faire  une  bôUse. 

ROBINSON. 

Une  bêtise?  Comment  cela? 

LE   GENDARME. 

Sans  doute  I  Le  voilà  libre  dans  l'île,  mais  comme  il  n'y 
trouvera  rien  pour  vivre,  il  sera  obligé  de  revenir  ici. 

ROBINSON. 

Et  alors,  nous  le  reprendrons. 

LE   GENDARME. 

S'il  se  laisse  reprendre  !  Mais  il  y  a  une  chose  à  laquelle 
nous  n'avons  pas  pensé,  c'est  l'heure  à  laquelle  il  peut 
revenir.  Si  c'est  le  jour,  ça  va  bien  I  11  est  seul,  nous  sommes 
deux,  nous  en  viendrons  à  bout.  Mais  si  c'est  la  nuit?... 

ROBINSON. 

C'est  exactement  la  même  chose. 

LK   GENDARME. 

Du  tout.  Il  peut  nous  faire  un  mauvais  coup.  Nous 
tomber  dessus  pendant  notre  sommeil. 

ROBINSON. 

Cela  ne  l'avancerait  à  rien.  Je  n'ai  rien  à  voler. 

LE   G£.'\L>AikME. 

Possible!  Mais  les  malfaiteurs  font  toujours  des  mauvais 
coups. 


Uîle  déserte  147 


ROBINSON. 

Eh  bien,  nous  veillerons  à  tour  de  rôle. 

LE   GENDARME. 

Ça  sera  bien  fatigant  !  Ecoutez,  ne  bougez  pas  d'ici,  je 
vais  tâcher  de  le  repincer.  S'il  revient  par  ici  pendant  mon 
absence,  arrêtez-le. 

ROBINSON. 

Mais  je  ne  suis  pas  gendarme  ! 

LE   GENDARME. 

C'est  juste  !  Je  veux  dire  :  retenez-le.  {il  sort.) 
SCÈNE  V 

ROBINSON. 

Voilà  ma  tranquillité  perdue  !  Ces  visiteurs  sont  bien 
désagréables  I  Ils  ont  envahi  mon  domaine  et  le  considèrent 
déjà  comme  à  eux.  Comment  pourrai-je  m'en  débarrasser? 
C'est  qu'on  ne  sort  pas  d'ici  aussi  facilement  qu'on  y  entre. 
Il  faudra  donc  les  subir  jusqu'à  la  fin  de  mes  jours  ?  Ah  I 
Voici  le  prisonnier,  il  n'a  pas  l'air  si  méchant  que  cela. 
Amadouons-le.  Eh  bien,  mon  brave? 

SCÈNE  VI 
ROBINSON,  BOULENBOIS. 

ROBINSON. 

Vous  avez  fait  le  tour  de  l'île  ? 

BOULENBOIS. 

A  peu  près.  Il  n'y  a  rien  à  faire. 


148  Ombres  chinoises 

ROBINSON. 

Pardon  1  II  y  a  pas  mal  de  poissons  dans  les  roehers. 

BOULENBOIS. 

Je  veux  dire  qu'il  n'y  a  rien  à  se  mettre  sous  la  dent.  En 
fait  de  gibier  je  n'ai  trouvé  qu'un  rat.  C'est  maigre  ! 

ROBlNSOiN. 

Oui,  mais  vous  ne  deviez  pas  être  habitué  à  faire  grosse 
chère. 

BOULENBOIS. 

Oh  là,  là  !  Quand  j'étais  libre,  je  ne  mangeais  pas  tous 
les  jours.  Une  fois  seulement  je  m'en  suis  fourré  jusque-là, 
mais  ça  m'a  coûté  cher. 

ROBINSON. 

Contez-moi  ça  ! 

BQULÏINBOIS. 

Oh  !  j'veux  bien,  c'est  pas  un  secret.  Ça  a  été  dans  les 
journaux  dans  le  temps.  C'était  un  soir,  selon  mon  habi- 
tude je  n'avais  pas  dîné  et  je  crevais  d©  faim.  J'vois  un 
charcutier,  non,  c'était  une  charcutière  ;  elle  était  seule  dans 
sa  boutique.  Je  me  dis  :  Veine  1  j'vas  dîner.  J'avais  aperçu 
dans  sa  cheminée  des  gros  boudins  qui  grillaient.  J'en 
demande.  Elle  me  dit  :  Si  vous  voulez  attendre  un  peu,  ils 
ne  sont  pas  encore  cuits.  Je  m'assieds  alors  près  du 
comptoir  et  pendant  qu'elle  surveillait  ses  boudins,  je  sur- 
veillai sa  caisse.  Soudain,  elle  s'aperçut  que  je  barbottais 
dans  son  tiroir  et  elle  se  mit  à  crier  :  Au  voleur  !  Je  ne 
fais  ni  une  ni  deux,  je  m'élance  dans  l'arrière-boutique  et 
dans  l'escalier  de  la  maison  où  elle  me  poursuit,  j'allais 
m'échapper  quand  la  malheureuse  me  lance  à  la  figure  un 
boudin  qui  me  bouche  l'œil  et  retombe  par  terre,  je  marche 
dessus,  je  tombe  et  la  charcutière  à  son  tour  tombe  sur 


Uîle  déserte  149 


moi;  j'étais  pris  !  Alors,  je  n'sais  pas  comment,  j'avais  un 
couteau  à  la  main  et...  vous  voyez,  c'est  pas  ma  faute.  On 
m'a  condamné  à  la  Nouvelle. 

UOBINSON. 

Oui,  c'est  la  faute  du  couteau. 

BOULENBOIS. 

Peut-être  bien  !  Mais  cette  histoire  de  boudin  ma  mis  en 
appétit.  Vous  n'avez  pas  quelque  cliose  à  me  donner  à 
manger,  je  crève  de  faim.  Rassurez  vous,  je  n'ai  pas  de 
couteau. 

ROBINSON. 

Eh  bien,  entrez  là  dans  ma  cahute,  vous  trouverez  sur 
ma  table  des  pommes  de  terre  bouillies.  Ne  cherchez  pas 
ailleurs,  vous  ne  trouveriez  rien. 

BOULENBOIS. 

Merci.  {A  part.)  Je  ferai  tout  de  môme  une  petite  revue 
dans  la  case.  {îl  entre  dans  la  cabane.) 


SCÈNE  VÏI 
ROBINSON,  jywù  Le  Gendarme. 

ROBINSON, 

Ici,  il  n'y  a  rien  à  voler,  alors  il  ne  volera  pas.  C'est 
égal,  c'est  un  compagnon  dangereux. 

LE  GENDARME,  entrant. 
J'ai  visité  toute  l'île,  je  ne  sais  pas  par  où  il  est  passé. 

ROBINSON. 

Ah  I  II  n'est  pas  bien  loin.  Il  est  ici.  Il  avait  faim,  je  lui 
ai  donné  à  manger» 


150  Ombres  chinoises 

LE   GENDARME. 

Quoi,  vous  lui  ayez  donné  à  manger? 

ROBINSON. 

Il  avait  faim,  vous  l'avez  bien  vous-même  nourri  sur 
votre  bateau.  Du  reste,  comme  il  doit  forcément  rester 
avec  nous,  il  faut  organiser  notre  société.  Nous  allons 
causer  de  cela,  voici  notre  homme. 

SCÈNE  VIII 
Les  Mêmes,  BOULENBOIS. 

boulenbois. 
Là  !  Ça  va  tout  à  fait  bien  maintenant. 

LE  GENDARME. 

Tant  mieux  !  Alors,  nous  allons  tenir  conseil.  Nous 
sommes  trois  dans  cette  île,  pour  nous  entendre,  il  faut  que 
nous  ayions  des  attributions  différentes.  Moi,  gendarme, 
je  représente  l'armée,  c'est  bien  naturel. 

BOULENBOIS. 

Je  comprends  ça. 

ROBINSON. 

Moi,  en  qualité  d'ancien  étudiant,  je  représente  la 
magistrature. 

BOULENBOIS. 

C'est  logique  !  Quant  à  moi,  je  représente  le  peuple  qui 
se  fiche  de  l'armée  et  de  la  magistrature. 

LE   GENDARME. 

Ceci  est  tellement  subversif  que  je  vais  vous  arrêter. 

BOULENBOIS. 

Oh  1  m'arrèter  I  Ce  n'est  pas  si  facile  que  ça  !  Mais  vous 


Vîle  déserte  151 


m'ennuyez,  vous,  avec  votre  manie  de  m'arrêter,  c'est  moi 
qui  vais  vous  arrêter  une  bonne  fois  pour  toutes  ! 

LE  GENDARME. 

Osez  approcher  !  Je  ne  vous  crains  pas  ! 

BouLENBois,  sc  jetant  sur  le  gendarme. 
Ah  !  Tu  ne  me  crains  pas  !  Eh  bien  tout  à  l'heure,  tu  ne 
me  craindras  plus. 

Am  :  .1  la  façon  <Jc  Barbari,  ou  de  Madame  Galuchard. 

N"   12  des  Chants  du  V  Age.  L.  Houssot. 

Tu  crois  être  maître  de  moi, 
Gendarme  impitoyable, 
Mais  je  suis  plus  malin  que  toi, 
Donc  bien  plus  redoutable. 

(Il  bat  le  gendarme.) 

Tiens  !  Prends  ceci,  pare  cela  ! 
Tralalalalère,  tralalalalà  ! 
Aimes-tu  ce  coup-là,  voici, 

Biribi  ! 
Le  trouves-tu  bien  réussi 

Mon  ami  ! 

(Le  gendarme  tombe  mort.) 

ROBINSON. 

Comment!  C'est  au  moment  où  nous  te  donnons  la 
liberté  que  tu  viens  commettre  un  crime  !  Attends  !  Je  n'ai 
plus  de  pitié  pour  toi.  Tu  vas  le  payer  cher  !  (Il  entre  dans 
sa  cabane  et  en  sort  avec  un  fusil  avec  lequel  il  vise  Boulen- 
bois.) 

BouLENBois,  se  sauvaut. 

Attrape-moi,  si  tu  peux  ! 

ROBiNSON,  tirant  son  coup  de  fusil. 
Voilà  ce  que  tu  mérites. 


152  Ombres  chinoises 

BODLENBois,  tombunt  sur  le  sol. 
N-i-ni,  c'est  fini  ! 

ROBINSON. 

Il  faut  en  prendre  mon  parti.  Je  ne  jouirai  plus  de  la 
société  des  hommes.  Je  suis  destiné  à  rester  toujours  seul! 
(Le  perroquet  dit  :  a  Bonjour  Coco.  »)  Ah  !  je  t'oubliais, 
mon  pauvre  coco  !  Non,  je  ne  suis  pas  seul,  puisqu'il  me 
reste  mon  meilleur  ami  ! 


(Rideau.) 


LE  BON  ROI  DAGOBERT 


9. 


IX 


LE  BON  ROI  DAGOBERT 


Le  roi  Dagobert. 

Eloi. 

Le  Sire  de  Perchelongue. 

Le  Vidame  de  Maltoiimé. 

Inès. 

Odette. 

Figurants. 

DÉCOR 

Trône  dressé  par  Dagobert  dans  la  plaine,  à  quelque 
distance  de  son  château  que  l'on  aperçoit  au  loin.  Grande 
tente  abritant  le  siège  royal. 

COSTUMES 

Dagobert,  Costume  de  Roi  moyen  âge. 

Eloi,  Longue  tunique. 

Perchelongue,  Pourpoint,  haut  de  chaussses,  très 
grand. 

Maltourné,  Pourpoint,  haut  de  chausses,  très  petit. 

Inès,  Costume  moyen  âge. 

Odette,  id. 

Pages,  dames  d'honneur,  écuyers,  en  groupes  dé- 
coupés. 


Le  bon    roi   Dagobert 


PIECE  EN  UN  ACTE 


PERSONNAGES 


Le  roi  DAGOBERT. 

ÉLOI,  son  conseiller  intime. 

Le  sire  de  PERGHELONGUE. 

Le  vidame  de  MALTOURNÉ. 

INÈS 

ODETTE 

Dames  d'honneur. 

Pages. 

Hommes  d'armes,  Varlets,  Fauconniers,  etc. 


filles  de  Dagobert. 


156  Ombres  chinoises 


SCÈNE  PREMIÈRE 

tlQl. 

Le  roi  Dagobert  est  un  cachotier.  Il  ne  m'a  point  dit 
pourquoi  il  rassemblait  aujourd'hui  tous  ses  vassaux  dans 
son  palais  ;  je  suis  sûr  qu'il  va  faire  des  bêtises...  et  ça 
retombera  sur  moi.  Le  peuple,  et  quand  je  dis  le  peuple, 
j  entends  tous  ceux  qui  n'approchent  pas  du  trône,  —  le 
peuple  ne  se  doute  pas  des  dangers  que  courent  les  servi- 
teurs immédiats  du  roi.  On  s'imagine  qu'ils  sont  influents, 
ah  bien  oui  I  Tenez,  mol,  voici  trois  ans  que  je  demande 
au  roi  de  vouloir  bien  augmenter  mes  appointements,  qui 
sont  très  minimes.  Savez-vous  ce  qu'il  me  répond?  —  Ah, 
mon  pauvre  Éloi,  tu  tombes  bien  mal,  ma  caisse  est  à  sec, 
je  n'ai  pas  même  le  moyen  de  renouveler  ma  garde- robe, 
qui  est  en  loques,  et  il  faut  que  je  représente,  d'autant  plus 
que  je  vais  marier  mes  filles  et  que  les  prétendus  doivent 
se  présenter  aujourd'hui.  Tu  me  comprends,  mon  vieil 
Éloi?  Que  voulez-vous  que  je  dise  à  cela?  Mais  le  voici 
qui  vient  avec  tout  son  cortège,  allons  au  devant  de  lui. 


SCÈNE  II 

ÉLOI,  DAGOBERT;  Dames  d'honneur,   Pages,    Hommes 
d'armes,  Varlets,  Fauconniers,  etc. 

DAGOBERT,  entrant  à  la  suite  de  l'escorte. 
Ah  !  te  voilà,  Éloi  ! 

éloi. 
Que  désirez-vous,  Sire  ? 


Le  bon  roi  Dagobert  157 

DAGOBERT. 

Je  voudrais  bien  savoir,  pourquoi  l'on  dit  que  toutes  ces 
personnes  font  partie  de  ma  suite?  Je  trouve  cette  expres- 
sion malheureuse,  puisque  cette  suite  me  précède. 

ÉLOI. 

La  remarque  est  juste,  Sire.  Mais  vous  savez  que  les  rois 
ont  des  privilèges  particuliers,  ainsi  les  suites  des  rois  les 
précèdent  toujours,  sauf  moi  cependant  qui  suis  très 
honoré  de  vous  suivre. 

DAGOBERT. 

Très  bien  !  Très  bien  répondu  î  Mais  qu'as-tu  ainsi  à  me 
considérer  par  derrière  ?  Je  te  permets  de  me  regarder  en 
face. 

ÉLoi,  embarrassé. 

C'est  que  je  m'aperçois  que  vous  n'avez  pas  observé  le 
cérémonial. 

DÀ60BSRT. 

Quel  cérémonial  ? 

ÉLOI. 

Je  ne  sais  pas  si  je  vais  oser  vous  dire... 

DAGOBERT. 

Ose  donc,  Éloi,  je  puis  tout  entendre  de  toi. 

ÉLOI. 

Eh  bien,  je  vais  vous  dire  cela  en  vers  et  en  musique. 

Am  du  Roi  Dagobert. 

Mon  bon  roi  Dagobert, 
Votre  culotte  est  à  l'envers. 

DAGOBERT. 

Tu  rallies,  je  crois? 


158  Ombres  chinoises 

ÉLOI. 

Non  pas,  ô  mon  roi. 
Votre  Majesté 
Est  mal  culottée. 

DAGOBERT. 

C'est  vrai  !  C'est  vrai,  ma  fol, 
Je  vais  la  remettre  ù  l'endroit. 

ÉLOI. 

Oh  !  Sire,  pas  ici  !  ce  serait  inconvenant.  Assis  sur  votre 
trône,  personne  ne  s'apercevra  du  désordre  de  votre 
toilette.  Attendez  la  fin  de  la  cérémonie. 

DAGOBERT,  s'asseyaiit  sur  son  trône. 
Tu  as  raison.  Et  là-dessus  je  fais  cette  réflexion.  Si  ma 
suite  m'avait  suivi,  elle  aurait  pu  voir  mon...  étourderie, 
tandis  qu'en  me  précédant,  elle  ne  s'est  aperçue  de  rien. 

ÉLOI. 

Vous  êtes  la  logique  même,  Sire. 

DAGOBERT. 

Pas  de  flatterie,  Éloi,  pas  de  flatterie  I  Songe  plutôt  à 
introduire  ici  mes  deux  filles  à  qui  je  veux  parler  avant  de 
les  livrer  à  leurs  prétendus. 

SCÈNE  m 

DAGOBERT,   ÉLOI,  INÈS 

ÉLOI,  introduisant  Inès. 
Son  Altesse  la  princesse  Inès. 

INÈS,  entrant. 
Il  n'y  a  pas  un  peu  de  musique  pour  mon  entrée  ? 


Le  bon  roi  Dagohert  159 

DAGOBERT. 

Non,  ma  fille,  aujourd'hui  jeudi  tous  mes  musiciens  ont 
congé  et  mon  phonographe  est  cassé.  D'ailleurs,  tu  ne  vas 
pas  danser,  n'est-ce  pas  ? 

INÈS. 

Hé  !  hé  !  Ce  n'est  pas  l'envie  qui  m'en  manque. 

DAGOBERT. 

Je  comprends  cela,  tu  vas  te  marier. 

INÈS. 

Oh  !  ce  n'est  pas  encore  fait  !  Parce  que  s'il  ne  me  plaît 
point... 

DAGOBERT. 

Ah  !  non,  par  exemple,  je  t'ai  trouvé  un  mari  de  choix, 
un  grand  homme,  il  ne  manquerait  plus  que  tu  le  refu- 
sasses. Songe  que  les  grands  hommes  sont  rares.  Du  reste, 
tu  vas  le  voir. 

INÈS. 

Eh  bien,  mon  père,  s'il  me  plaît,  je  vous  obéirai. 

DAGOBERT. 

S'il  me  plaît  est  de  trop.  Faites  entrer  la  victime. 

ÉLOI. 

Pardon,  Sire,  vous  vous  trompez.  Il  s'agit  du  prétendu. 

DAGOBERT. 

Eh  bien  oui  !  Qu'ai-je  donc  dit  ? 

ÉLOI. 

Vous  avez  dit  :  la  victime. 

DAGOBERT. 

C'est  un  lapsus.  Je  me  croyais  à  mon  tribunal.  Après 
^out,  si  c'est  une  victime,  ma  fille  est  un  gentil  bourreau. 


160  Ombres  chinoises 

mÈs. 
Merci,  papa  ! 

DAGOBERT. 

Allons,  un  peu  de  tenue,  ma  fille,  et  placez-vous  à  ma 
droite.  Inès  se  place  à  la  droite  de  son  père.) 

SCÈNE  IV 

DAGOBERT,  INÈS,  ÉLOI,  rentrant  arec  le  Sire 
de  Perchelongue. 

ÉLOI,  annonçant. 
Le  Sire  de  Perchelongue  1 

INÈS  (à  part). 
Oh  !  qu'il  est  grand  ! 

DAGOBERT. 

Tu  vois  que  je  ne  t'ai  pas  menti. 

INÈS. 

Quand  je  voudrai  lui  donner  le  bras,  je  n'y  arriverai 
jamais,  il  me  faudra  une  échelle. 

DAGOBERT. 

Tu  lui  donneras  simplement  la  main  puisqu'il  vient  te  la 
demander.  Et  maintenant  parlez,  Sire  de  Perchelongue. 

PERCHELONGUE. 

Am  de  Bon  voyage  Monsieur  DumolUt. 

Qu'on  me  raille, 
Ça  m'est  égal, 
Avez-Yous  vu  des  hommes  de  ma  taille? 
Qu'on  me  raille, 
Ça  m'est  égal, 
J«  suia  bitn  fait,  voilà  !•  principal. 


Le  bon  roi  Dagohert  161 

J'ai  le  pied  grand,  le  nez  aussi  peut-être, 
La  bouche  encor,  signe  de  la  valeur  : 
Pareil  à  moi  ne  se  fait  pas  connaître  ; 
Mais  ce  que  j  ai  de  plus  grand  c'est  le  cœur  î 

{Reprise.) 

INÈS. 

Quel  est  votre  petit  nom  ? 

PERCHELONGUE. 

Odoard  ! 

INÈS. 

Odoard,  Sire  de  Perchelongue  ! 

PERCHELONGUE. 

C'est  cela,  Princesse,  quand  nous  serons  mariés,  je  vous 
dirai  mes  autres  noms,  vous  choisirez. 

INÈS. 

Le  nom,  ça  ne  fait  rien,  mais  la  taille  I  Si  j'avais  quelque 
chose  de  secret  à  vous  dire  à  l'oreille,  je  ne  pourrais  jamais 
y  arriver. 

PERCHELONGUE. 

Je  vous  porterais  alors  sur  mon  bras. 

INÈS. 

Tout  cela  est  bien  compliqué  î  Non,  voyez- vous,  Odoard, 
vous  ne  me  convenez  pas, 

PERCHELONGUE. 

0  !  Ciel  !  mais  vous  n'avez  pas  dit  votre  dernier  mot. 

INÈS. 

Non  !  L'avant-dernier,  seulement. 

DAGOBERT. 

C'est  moi  qui  dirai  le  dernier.  Sire  de  Perchelongue,  vous 
pouvez  vous  retirer,  mais  ne  vous  éloignez  pas,  je  vous 
rappellerai  tout  à  l'heure.  {Perchelongue  sort.) 


162  Ombres  chinoises 

SCÈNE  V 
Les  Mêmes,  moins  PERCHELONGUE. 

ÉLOI. 

Faut-il  introduire... 

DAGOBERT. 

Tout  à  l'heure  !  (A  Inès.)  Ma  chère  enfant,  je  t'ai  laissé 
parler  librement  avec  ton  prétendu  ;  il  ne  te  plaît  pas,  c'est 
convenu,  mais  je  trouve  que  tu  l'as  expédié  un  peu  rapide- 
ment, et  que  tu  n'as  pas  réfléchi  que  c'est  moi  qui  l'avais 
choisi  et  que  par  conséquent  j'avais  des  motifs  pour  cela. 
Les  princesses  ne  choisissent  pas  leurs  maris,  elles  doivent 
s'incliner  devant  la  raison  d'État.  Mon  royaume  est  un  très 
grand  Royaume,  mais  il  ne  possède  pas  un  homme  grand. 
J'en  avais  trouvé  un,  tu  le  refuses,  j'en  suis  désolé.  J'espère 
que  tu  réfléchiras,  et  que  dans  l'intérêt  de  l'État,  dans  une 
seconde  entrevue,  tu  mettras  ton  intérêt  particulier  de  côté. 
Voilà  ce  que  j'avais  à  te  dire;  maintenant  Éloi  fais  entrer 
ma  fille  cadette,  Odette. 

ÉLOI. 

Cadettodette  !  J'obéis,  Sire.  (Il  sort.) 

SCÈNE  VI 

ODETTE,  DAGOBERT,  INÈS,  ÉLOI,  Le  Vidame  de  MAL 
TOURNÉ,  bossu. 

ÉLOI. 

Le  Vidame  de  Maltourné  ! 


Le  bon  roi  Dagobert  163 

DAGOBERT. 

Et  la  princesse  Odette,  ma  fille  ? 

ODETTE,  gaimeni. 
Me  voilà  !  Me  voilà  I  Je  rattachais  mon  cordon  de  soulier. 

DAGOBERT. 

Ce  détail  est  inutile.  Asseyez-vous  là,  près  de  moi  à  ma 
gauche,  puisque  votre  sœur  est  à  ma  droite.  Maintenant, 
Vidame  de  Maltourné,  faites  votre  déposition. 

ÉLOI. 

Pardon,  Sire,  vous  vous  trompez... 

DAGOBERT. 

C'est  ma  foi  vrai,  je  me  croyais  à  mon  tribunal.  Vidame 
de  Maltourné,  je  vous  écoute. 

MALTOURNÉ. 

Sire,  je  viens  vous  demander  la  main  de  la  princesse 
Odette.  Je  sais  que  je  ne  suis  pas  beau. 

ODETTE. 

Oh  !  non  I 

MALTOURNÉ. 

Air  :  des  Bossus. 

Il  est  bien  vrai  que  je  suis  un  bossu 
Depuis  longtemps  je  m'en  suis  aperçu. 
Que  voulez-vous  ?  Je  fus  ainsi  conçu. 
Malgré  cela,  je  ne  suis  pas  pansu, 
Aussi  partout  je  suis  très  bien  reçu, 
Car  j'ai  bon  air  et  pourpoint  cossu  ! 

Au  résumé,  j'ai  d'autres  qualités. 

INÈS. 

Lesquelles  ? 


164  Ombres  chinoises 

MALTOURNK. 

Si  je  vous  les  dis,  je  vais  rougir,  mais,  c'esl  égal,  je  me 
risque. 

ODETTE. 

C'est  ça,  risquez-vous. 

MALTOURNÉ. 

Oh  !  Je  ne  risque  pas  grand  chose,  puisque  je  vais  dire  du 
bien  de  moi.  Donc,  d'abord  je  ne  suis  pas  bête. 

ODETTE. 

Croyez- vous  ? 

MALTOUKNÉ. 

J'en  suis  sûr  !  Il  ne  faut  pas  être  bote  pour  avoir  été 
admis  à  prétendre  à  la  main  de  la  princesse  Odette. 

ODETTE,  à  part. 
Tiens!  Tiens! 

MALTOURNÉ. 

Puis  ensuite,  j'ai  beaucoup  de  talents  d'agrément.  Je 
chante  agréablement,  je  dessine,  je  peins,  jo  sculpte,  en  un 
mot,  je  suis  un  artiste,  ce  qu'il  n'est  pas  donné  d'être  à  tout 
le  monde. 

ODETTE. 

Savez- vous  jouer  au  bésigue? 

MALTOURNÉ. 

Non,  mais  je  sais  faire  des  tours  de  caries  pour  amuser 
les  autres. 

ODETTE. 

Savez- VOUS  jouer  la  comédie? 

MALTÔURNÉ. 

Oui,  princesse!  Malheureusement,  je  ne  puis  jouer  les 
amoureux,  mon  physique  s'y  oppose,  mais  je  sais  faire  des 


Le  bon  roi  Dagobert  165 

vers  et  quand  on  ne  voit  pas  le  poète,  on  est  tout  disposé  à 
l'aimer. 

ODETTE. 

Je  vois  que  vous  faites  bien  valoir  votre  personne. 

MALTOURNÉ. 

Hélas  I  Qui  en  dirait  du  bien,  sinon  moi. 

DAGOBERT. 

C'est  très  bien,  Vidame  de  Maltourné,  jusqu'à  présent 
vous  avez  beaucoup  parlé  de  vous,  mais  vous  n'avez  pas 
dit  un  mot  de  la  princesse. 

MALTOURNÉ. 

C'est  que  j'ai  compris,  Sire,  qu'en  en  disant  du  bien,  je  me 
rendrais  ridicule.  Le  crapaud  peut  admirer  la  rose,  mais  il 
ne  doit  pas  le  lui  dire. 

DAGOBERT. 

Allons  !  Vous  êtes  un  gentilhomme  accompli.  Qu'en  dis-tu 
Odette? 

ODETTE. 


1^ 

^        Sans  doute,  Papa,  mais  la  bosse? 


DAGOBERT. 


wÊi     La  bosse  ?  Elle  est  dans  le  dos,  on  ne  la  voit  pas. 

ODETTE. 

Et  tout  cas,  je  demande  à  réfléchir. 

DAGOBERT. 

C'est  juste  !  Eh  bien,  mon  cher  vidame,  veuillez  vous 
retirer,  je  vous  rappellerai  tout  à  l'heure.  {Le  Vidame 
de  Maltourné  sorl.) 


166  Ombres  chinoises 

SCÈNE  VII 

Les  Mêmes,  moins  MALTOURNÉ. 

DAGOBERT. 

Mes  filles,  il  s'agit  de  vous  décider,  je  n'ai  pas  d'autres 
prétendants  à  vous  offrir.  Voyons,  parle,  Inès. 

ÉLOI. 

Voulez-vous,  Sire,  me  permettre  de  dire  un  mot  ? 

DAGOBERT. 

Mais  comment  donc,  mon  bon  Éloi,  tu  es  la  sagesse 
même. 

ÉLOI. 

Eh  bien,  les  jeunes  princesses  ne  tiennent  peut-être  pas 
à  se  marier. 

INÈ8,  ODETTE,  vivemeut. 

Si,  oh  I  si,  nous  voulons  bien. 

ÉLOI. 

Alors,  il  faut  vous  décider. 

DAGOBERT. 

Éloi  a  raison!  Voyons  Inès,  que  reproches-tu  à  ton  futur? 

INÈS. 

Il  est  trop  grand. 

ODETTE. 

Tu  es  bien  difficile  !  Un  grand  homme  fait  valoir  une 
petite  femme.  Moi,  c'est  différent,  le  mien  est  bossu. 

INÈS. 

Dans  le  dos  !  Ça  ne  se  voit  pas  quand  on  est  de  face. 


Le  bon  roi  Dagohert  167 

ODETTE. 

Il  est  vrai  qu'il  a  de  l'esprit!  Il  faut  bien  qu'il  ait  quelque 
chose. 

INÈS. 

Oh  !  moi,  le  mien  n'en  a  pas  du  tout,  c'est  ce  que  je  lui 
reproche. 

DAGOBERT. 

Avec  cela,  vous  ne  vous  décidez  à  rien,  il  faut  pourtant 
en  finir  ;  vos  prétendus  doivent  s'impatienter. 

ÉLOI. 

Sire,  j'ai  une  idée. 

DAGOBERT. 

Ça  ne  m'étonne  pas,  mon  bon  Éloi.  J'ai  entendu  parler 
d'un  homme  qui  avait  une  idée  par  jour.  Toi,  tu  as  une 
idée  par  heure,  c'est  beaucoup  mieux.  Voyons,  expose  ton 
idée. 

ÉLOI. 

Il  faut  alors  faire  rentrer  les  prétendants. 

DAGOBERT. 

Soit!  Mais  vous,  mes  filles,  il  faut  vous  décider.  Éloi,  fais 
pénétrer  ici  ces  gentilshommes. 

ÉLOI. 

Je  les  introduis.  Laissez-moi  leur  parler.  {Il  sort.) 

SCÈNE  VIII 

DAGOBERT,  ÉLOI,  PERCHELONGUE,  MALTOURNÉ, 
INÈS,  ODETTE. 

ÉLOI  rentrant  en  scène. 
D'après  l'ordre  de  mon  souverain  maître,  je  vais  me  per 


168  Ombres  chinoises 

mettre  de  vous  adresser  quelques  interrogations.  —  Vous 
quatre,  ici  présents,  voulez-vous  vous  marier  ? 

INÈS,    ODETTIJ,   MALTOURNÉ,    PERCHELONGUE,   ensemble. 

Oui  ! 

ÉLOI. 

Voilà  qui  est  clair  !  Il  n'y  a  pas  d'hésitation.  Mais  il  peut 
y  avoir  malentendu.  Il  s'agit  de  préciser.  Interrogeons 
d'abord  les  princesses...  Voyons,  princesse  Inès,  sur  lequel 
de  ces  deux  seigneurs  avez-vous  jeté  les  yeux  ! 

INÈS. 

Puisqu'il  n'y  a  pas  d'autres  prétendants,  sur  l'un  des 
deux. 

ÉLOI. 

Et  vous,  princesse  Odette? 

ODETTE. 

Et  moi  aussi. 

ÉLOI, 

Diable  !  Diable  1  Cela  va  être  difficile  à  conclure  !  Ces 
jeunes  princesses  sont  très  réservées.  Interrogeons  les 
hommes.  Sire  de  Perchelongue,  quel  est  votre  choix? 

PERCHELONGUE. 

Je  suis  très  honoré  d'avoir  été  accepté  par  le  roi  Dagobert. 
J'épouserai  une  des  deux  princesses. 

ÉLOI. 

Et  vous,  vidame  de  Maltourné  ? 

MALTOURNÉ, 

Je  répondrai  comme  mon  futur  beau-frère.  C'est  une  des 
deux  princesses  que  je  prendrai  pour  femme. 


Le  bon  roi  Dagoberl  169 

ÉLOI. 

Très  bien.  Vous  êtes  très  discrets,  comme  les  princesses 
elles-mêmes.  Mais  il  faut  une  désignation  plus  complète. 
Princesse  Inès,  choisissez-vous  le  Sjre  de  Perchelongue  ? 

INÈS. 

Tout  bien  réfléchi,  il  est  trop  grand,  j'épouserai  plutôt  le 
Tidame  de  Maltourné,  si  ma  sœur  y  consent. 

OPETTP. 

Prends-le  !  Prends-le!  Il  est  pétri  d'esprit,  il  t'en  donnera. 

INÈS. 

Dis  donc  !  Tu  me  prends  pour  une  bête  ? 

ODETTE. 

Non,  ma  sœur,  je  te  remercie  même  de  m'avoir  laissé  le 
grand  homme. 

PERCHELONGUE. 

En  étant  toute  ma  vie  à  vos  genoux,  je  serai  toujours  de 
votre  taille  ! 

MALTOURNÉ. 

Et  moi,  en  me  jetant  dans  vos  bras,  je  ne  vous  paraîtrai 
plus  si  petit. 

ÉLOI. 

Eh  bien,  qu'en  dites- vous  Sire?  Comment  trouvez- vous 
cette  solution  ? 

DAGOBERT. 

Incomparable  !  Maintenant,  quittons  ce  trône  où  nous 
n'avons  plus  rien  à  faire  et  passons  dans  la  salle  du  festin. 

ÉLOI. 

Auparavant,  Sire,  permettez-moi  de  vous  dire  que  le 
moment  est  venu  de  passer  votre  armée  en  revue. 

10 


DAGOBERT. 

Tu  crois  ?  C'est  que  je  voudrais  bien  remettre  ma  culotte 
à  l'endroit. 

ÉLOI. 

Mais  l'armée?  Sire,  l'armée  ne  peut  pas  attendre. 

DAGOBERT. 

Eh  bien  î  qu'elle  me  précède  !  Mes  soldats  ne  me  verront 
pas  en  déshabillé,  l'honneur  sera  sauf. 

ÉLOI. 

Tiens!  c'est  une  idée.  Ça  va  nous  faire  une  revue. 
(Dagobert  et  Lloi  montent  sur  le  trône,  les  pages  se  placent 
sur  les  gradins.) 

DAGOBERT,  dcbout  devant  le  trône. 
Mon  peuple  aimé,  il  n'y  a  pas  de  belle  fête  sans  cérémonie 


militaire.  Je  vais  passer  mon  armée  en  revue.  (Musique,  air 
de  marche,) 

Am  :  Larifla. 


Le  grand  Roi  Dagobert 
Connu  dans  l'Univers 
Fait  défiler  au  pas 
Ses  valeureux  soldats. 
Larifla,  flafla  (quater). 


II 

Son  air  majestueux 
Attire  tous  les  yeux 
Et  ses  discours  flatteurs 
Emeuvent  tous  les  coeurs 
Larifla,  flafla. 


172 


Ombres  chinoises 


itl 

Sur  son  coursier  fringant 
11  est  très  élégant, 
Mais  quand  vient  l'action 
L'agneau  devient  lion. 
Larifla,  flafla. 


IV 

Honneur  à  ce  grand  Roi, 
Lequel  avec  Éloi, 
A  rempli  l'univers 
Du  nom  de  Dagobert. 
Larifla,  flafla. 


(Hideau.) 


TABLE 


Notice  historique 5 

Construction  du  Théâtre  et  des  Ombres.  . .       Il 


Fouilles 
9 


I.  ~  La  Fête  de  Catherine 14 

II.  —  L'Infortuné  Voyageur 28  1 

III.  —  La  Soirée  Courtepince 46  1 

IV.  ~  Les  trois  Souhaits 60  2 

V.  —  La  Cassette  du  Docteur 76  1 

VI.  —  Le  Crime  de  Saint-Just 98  1 

VII.    -  Les  Papillons  de  Fanchette 120  2 

VIII.  —  L'Ile  déserte 138  1 

IX.  —  Le  bon  Roi  Dagobert lo4  4 

(Chaque  feuille,  dessinée  par  Jean  Kerhor  :  30  centimes.) 


10. 


Pirii.  LE  BAILLT,  Editfinr,  0.  BORNEMAlflf,  8neetM«i^ 
15,  rue  de  Tonrnon,  15 


THEATRE  DES  MARIONNETTES 

Par  LEMERCIER  DE  NEUVILLE 

Nous  avons  publié,  il  y  a  plusieurs  années,  un  Nouveau  Théâ- 
tre de  Guignol,  en  deux  volumes,  par  Lemercier  de  Neuville, 
dont  les  Pupazzi  furent  célèbres.  Les  Pupazzi  étaient  des  gui- 
gnols dont  les  figures  représentaient  les  célébrités  artistiques, 
littéraires  et  politic^ues  du  jour  et  qui  jouaient  des  pièces  satiri- 
ques pleines  d'esprit  et  de  goût.  Une  moitié  de  ces  ceuvrettes  a 
été  éditée  dans  différents  volumes,  aujourd'hui  à  pev^  p>'às 
introuvables. 

Pour  répondre  à  notre  désir,  Lemercier  de  Neuville  a  consent/ 
à  écrire  pour  l'enfance  et  nous  a  donné  d'abord  les  doux 
volumes  du  Nouveau  Théâtre  de  Guignol,  publiés,  il  y  a  deux  ans 
et  aujourd'hui  :   Un   Théâtre  de   Marionnettes,  c'est  à  dire  des 

Sièces  qui  peuvent  être  jouées  sur  ces  petits  théâtres,  en  vente 
ans  le  commerce  et  dont  les  personnages  sont  tenus  par  un  fil 
le  fer  fixé  au  sommet  de  leur  tête.  Ce  genre  de  pantins  n'avait 
point  jusqu'alors  de  répertoire.  Nous  estimons  que  cette  lacune 
n'existe  plus  et  ^ue  notre  jeune  public  saura  apprécier  ces  peti- 
tes pièces  remplies  de  gaieté  et  a'esprit. 


2  volumes  in-18  jésus,  à  2  francs. 

(20  centimes  en  sus  pour  le  port.) 

!•»  VOLUME 

NOTIGB.  H.     F. 

Retour  (le)  de  Béronte,  comédie  en  un  acte  et  en  prose.      6      • 
Éoole  (1')  des  valets.  —  —  _  4     » 

Trombolini,  mélodrame,  —  —  4      1 

InstruotioB  (1')  de  Pierrot,  comédie  avec  chmt,  en  on 

acte  et  en  prose 3      1 

Valet  (le;  doré,  comédie  en  un  acte  et  en  prose 4     1 

2«  VOLUME 
Frineesse  (la)  enobantée,  pièce  féerique  avec  chant,  «n 

un  acte  et  en  prose , 9      t 

B&ton  (le)  de  FolicMnelle,  pièce  fantastique  avec  chant, 

en  un  acte  et  eu  prose S      \ 

Renseignements  (les),  comédie  en  un  acte  et  en  prose.      5     1 

Roi  (le)  FolicMnelle,  pièce  en  un  acte  et  en  prose •     » 

Valet  (le)  de  deux  Maîtres,  com.  en  un  acte  et  en  prose.  ^    5     1 
Chaque  pièce  séparée  O.SO 

Nota.  —  Sauf  La  Princesse  enchantée,  toutes  ces  pièces  pMe 
V«Bt  être  ]ottées  par  de  jeunes  acteurs. 


VIENT  DE  PARAITRE 


LE  BAILLY, ÉDITEUR,  O.BORNEMANN,  SUCCESSEUR 

PARIS4  16,  Bue  de  Tournon 

LEMERCIER  DE  NEUVILLE 


CEuvres  Théâtrales 


THÉÂTRE    DE    GUIGNOL 

L*auteur  des  Pupazzi,  Lemercier  de  Neuville,  sollicité  par 
nous,  a  bien  voulu  nous  faire  un  nouveau  Théâtre  de 
Guignol,  pour  remplacer  l'ancien  qui  devenait  par  trop  usé. 
Ce  qu'il  a  cherché  avant  tout,  c'est  le  comique  sans  grossière- 
té et  aussi  la  facilité  d'interprétation.  On  le  sait,  nul  n'est 
plus  compétent  que  lui  dans  le  maniement  de  ces  petits  per- 
sonnages, aussi  ses  pièces,  très  variées,  très  bouffonnes  et 
en  même  temps  littéraires  sont-elles  faciles  à  jouer.  Du 
reste,  il  n'a  pa".  n»é/iagé  les  explications,  et  le  premier 
volume  est-il  pncedé  d'une  notice  où  l'art  du  Guignol  est 
entièrement  déniontré, 

2  Volumes  in- 18  Jésus  à  3  francs  chaque 

Port  en  plus  30  cent,  par  VoL 


-3se- 


TABLE  DES   MATIÈRES 


PREMIER    VOLUME 
NOTICE 

Comment  oi>  tient  un  personnage 
Comment  on  le  fait  vivr9 
Accessoires^  décors,  costumes 


I.  Une  affaire  d'honneur  . 

M.  Le  fanlôme 

ui.  Une  journée  de  pêche., 
w.  Le  sac  de  pommes  de  terre 
»•  U  grand  Paloi 


3  Ptr 
S 

4 
5 

I 


DEUXIÈME  VOLUMl 


I.  L'éducation  de  Pierrot. .  i 

II.  Le  petit  domestique i 

III.  Pierrot  pendu ? 

IV.  L'auberge    du    mouton 

enragé • 

T.  La  Jeunesse  de  GpfaMI  » 


ALBUM  DU  MARIAGE 


Choix  de  MONOLOGUES 

PAR    LEMERCIER   DE    NEUVILLE 
à  50  centimes  chaque 


1.  Un  Célibataire  endurci,  Monologue.  (Un  Invité). 

2.  Colas  et  Colette,  Monologue.  (Un  Invité). 

3.  Le  Garçon  d'Honneur,  Monologue.  (Garçon  d'Honneur) 

4.  Le  Garçon  d'Honneur,  ToasL  (Garçon  d'Honneur), 

5.  Le  Mari  qu'ilme  faut,  Monologue.  {Demoiselle d' Honneur) 

6.  Le  Cortège  des  Lys,  Monologue.  (Demoiselle  d'Honneur) 

7.  La  Jarretière,  Monologue.  (Une  Invitée). 

8.  La  Célibataire,  Monologue.  (Une  Invitée). 

9.  Les  Moineaux,  Monologue.  (Petit  Garçon). 
^Les  Deux  Gamins,  Monologue.  (Un  Témoin). 
/compliment  (Petite  Fille). 

11.  Toast  du  Marié.  (Marié). 

12.  Le  Meilleur  des  Maris.  (Demoiselle  d'Honneur), 

13.  Les  Deux  Ormes.  (Noces  d'Or  et  d'Argent). 

14.  Demoiselle  d'honneur.  (Demûi$elle  d'honneur). 

Les  mômes  en  uti  volume  :  2  fr. 


A  LA  MÊME  LIBRAIRIE 

15.  La  Cinquantaine  (Philémon  et  Baugis),  Dialogue  pour 
2  enfants,  par  Amédée  BURION. 

(Pour  Noces  d^Or) 


Tous  droits  de  traduction,  d'exécution  «t  de  reproduction  réservés 
pour  la  France  et  l'Etranger,  y  ecmpris  la  Suède 

ai  la  NninrAiMt 


et  la  Nonrège. 


Lemercier   de   Neuville 

•  •  • 

Monologues 

ET 

RÉCITS 

E3N     VERS     ET     EN     PROSE 


POUR 


jFiltette;  et  ^6li])e$  |^itte$ 

Prix  2  francs 

Monologues 

ET 

RÉCITS 

EN     VERS     ET     EN     PROSE 

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Petit;  GaFçoi)$  et  Mï\n  k^ 

Prix  2  francs 


Imprimerie  de  Poissy.  —  Lbjay  Fils  et  Lbmoro. 
Poissy  (S.-et-O.)  —  Téléph.  52.  —  Bureau  à  Paris,  59,  rue  du  Rocher. 


lui   /.  r^  ikj  #11 


PN     Lemercier  de  Neuville,  Louis 

1981      Ombres  chinoises 

U45 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
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